Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/92

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Alors Dieu dit à Mosé : je vais leur faire pleuvoir des pains du ciel... et Mosé dit à Aaron, dites à l’assemblée des enfans d’Israël qu’ils se présentent devant le seigneur ; et ils virent la gloire du seigneur qui parut dans une nuée. Et Dieu dit à Mosé : dis-leur que ce soir ils mangeront de la chair, et demain matin ils seront rassasiés, et vous saurez tous que je suis le seigneur votre Dieu. Et le soir donc tout le camp fut couvert de cailles, et le matin tous les environs furent chargés d’une rosée qui ressemblait à la bruine qui tombe sur la terre. Et les enfans d’Israël ayant vu cela, se disaient l’un et l’autre Manhu ; et Mosé leur dit : c’est le pain que Dieu vous a donné à manger. [1].

    nous leur contons des fables absurdes. Ils ne peuvent pas comprendre que Dieu n’ait pas donné à son peuple cet excellent pays de l’égypte, où il n’y avait plus que des femmes et des enfans. " pourquoi, disent-ils, Mosé, à l’âge de plus de quatre vingts ans, peut-il conduire dans le plus affreux des déserts trois millions d’hommes, au lieu de les mener du moins dans le pays de Canaan en passant par l’Idumée ? Les déserts de Sur, de Mara, d’élim, de Sin, de Raphidim, d’Oreb, de Sinaï, de Pharan, de Cadès-Barné, d’Oboth, de Cadenoth, dans lesquels ils errerent quarante années, ne pourraient pas nourrir trente voyageurs pendant quatre jours, s’ils ne portaient de l’eau et des provisions. Il y a quelques fontaines, à la vérité, au mont Oreb ; mais tout le reste est sec et impratiquable ; plusieurs arabes y tombent quelquefois morts de soif et de faim. Le premier devoir d’un legislateur, tel qu’on nous représente Mosé, est de pourvoir à la subsistance de son peuple. " nous avouons à ces incrédules, que selon les regles de la prudence humaine un général d’armée aurait tort de conduire sa troupe par des déserts. Mais il ne s’agit point ici de raison, de prudence, de vraisemblance, de possibilité physique. Tout est au-dessus dans ce livre, tout est divin, tout est miracle ; et puisque les juifs étaient le peuple de Dieu, il ne devait rien leur arriver de ce qui est commun aux autres hommes. Ce qui paraitrait absurde dans une histoire ordinaire, est admirable dans celle-ci.

  1. Diodore de Sicile liv 1 chap 12 raconte, qu’un roi d’égypte nommé Actisan fit autrefois couper le nés à une troupe de voleurs, qui avaient infesté de leurs brigandages toute l’égypte dans le temps des guerres civiles : qu’il les relégua vers Rinocolure à l’entrée de tous ces déserts. Rinocolure en grec signifie nez coupé , (et apparemment ce mot fut depuis la traduction du mot égyptien). Diodore dit qu’ils habiterent le désert de Sin, et qu’ils firent des filets pour prendre des cailles dans le temps qu’elles passent vers ces climats. Les incrédules, abusant également du texte de Diodore et de celui de l’écriture sainte, croient appercevoir dans ce récit la véritable histoire des juifs. Ils disent que les juifs sont des voleurs de leur propre aveu ; qu’il est très naturel qu’un roi d’égypte, soit Actisan, soit un autre, les ayant relégués dans un désert après leur avoir fait couper le nés, leur race ait conçu une haine implacable contre les égyptiens, et qu’elle ait continué le métier de brigands qu’elle tenait de ses peres. Pour la manne ils n’y trouvent rien d’extraordinaire, si ce n’est qu’elle est un purgatif : ils disent que ce purgatif peut être moins fort que la manne de la Calabre, et qu’on peut s’y accoutumer à la longue ; qu’on trouve encore de la manne dans ces déserts ; mais que c’est une nourriture qui ne peut sustenter personne