Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/120

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Chapitre XXIV. Excès du fanatisme.

Après ce tableau si vrai des superstitions humaines et des malheurs épouvantables qu’elles ont causés, il ne nous reste qu’à faire voir comment ceux qui sont à la tête du christianisme lui ont toujours insulté, combien ils ont été semblables à ces charlatans qui montrent des ours et des singes à la populace, et qui assomment de coups ces animaux, qui les font vivre.

Je commencerai par la belle et respectable Hypatie, dont l’évêque Synésius fut le disciple au ve siècle. On sait que saint Cyrille fit assassiner cette héroïne de la philosophie, parce qu’elle était de la secte platonicienne et non pas de la secte athanastasienne. Les fidèles traînèrent son corps nu et sanglant dans l’église et dans les places publiques d’Alexandrie. Mais que firent les évêques contemporains de ce Synésius le platonicien ? Il était très riche et très puissant ; on voulut le gagner au parti chrétien, et on lui proposa de se laisser faire évêque. Sa religion était celle des philosophes : il répondit qu’il n’en changerait pas, et qu’il n’enseignerait jamais la doctrine nouvelle ; qu’on pouvait le faire évêque à ce prix. Cette déclaration ne rebuta point ces prêtres, qui avaient besoin de s’appuyer d’un homme si considérable : ils l’oignirent, et ce fut un des plus sages évêques dont l’Église chrétienne pût se vanter. Il n’y a point de fait plus connu dans l’histoire ecclésiastique.

Plût à Dieu que les évêques de Rome eussent imité Synésius au lieu d’exiger de nous deux shellings par chaque maison ; au lieu de nous envoyer des légats qui venaient mettre à contribution nos provinces de la part de Dieu ; au lieu de s’emparer du royaume d’Angleterre, en vertu de l’ancienne maxime que les biens de la terre n’appartiennent qu’aux fidèles ; au lieu de faire enfin le roi Jean sans Terre fermier du pape.

Je ne parle pas de six cents années de guerres civiles entre la couronne impériale et la mitre de saint Jean-de-Latran, et de tous les crimes qui signalèrent ces guerres affreuses ; je m’en tiens aux abominations qui ont désolé ma patrie ; et je dis, dans l’amertume de mon cœur : Est-ce donc pour cela qu’on a fait naître Dieu d’une Juive ? Est-ce en vain que l’esprit de raison et de tolérance, dont j’ai parlé, commence à s’introduire enfin