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depuis l’Église grecque de Pétersbourg jusqu’à l’Église papiste de Madrid ?


Chapitre XXV. Contradictions funestes.

Il me semble que nous avons tous un penchant naturel à l’association, à l’esprit de parti. Nous cherchons en cela un appui à notre faiblesse. Cette inclination se remarque dans notre île, malgré le grand nombre de caractères particuliers dont elle abonde. De là viennent nos clubs et jusqu’à nos francs-maçons. L’Église romaine est une grande preuve de cette vérité. On voit en Italie beaucoup plus de différents ordres de moines que de régiments. C’est cet esprit d’association qui partagea l’antiquité en tant de sectes ; c’est ce qui produisit cette multitude d’initiations englouties enfin dans celle du christianisme. Il a fait naître de nos jours les moraves, les méthodistes, les piétistes, comme on avait eu auparavant des Syriens, des Égyptiens, des Juifs.

La religion est, après les jours de marchés, ce qui unit davantage les hommes ; le mot seul de religion l’indique : c’est ce qui lie, quod religat.

Il est arrivé en fait de religion la même chose que dans notre franc-maçonnerie : les cérémonies les plus extravagantes en ont partout fait la base. Joignez à la bizarrerie de toutes ces institutions l’esprit de partialité, de haine, de vengeance ; ajoutez-y l’avarice insatiable, le fanatisme qui éteint la raison, la cruauté qui détruit toute pitié, vous n’aurez encore qu’une faible image des maux que les associations religieuses ont apportés sur la terre.

Je n’ai jusqu’à présent connu de société vraiment pacifique que celle de la Caroline et de la Pensylvanie[1]. Les deux législateurs de ces pays ont eu soin d’y établir la tolérance comme la principale loi fondamentale. Notre grand Locke a ordonné que dans la Caroline sept pères de famille suffiraient pour former une religion légale. Guillaume Penn étendit la tolérance encore plus loin : il permit à chaque homme d’avoir sa religion particulière, sans en rendre compte à personne. Ce sont ces lois humaines qui ont fait régner la concorde dans deux provinces du

  1. Cela fut écrit avant la guerre de la métropole contre les colonies. (Note de Voltaire.)