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ACTE I, SCENE I.

Il faut surtout qu’elles soient intéressantes : c’est là le premier devoir. Des jeunes gens, dont le goût n’était point encore formé, et qui n’avaient qu’une connaissance confuse du théâtre et de l’art des vers, se sont souvent étonnés du peu de succès de la tragédie d’Atrée. Ils ont cru que la délicatesse de nos dames s’effrayait trop de voir présenter à Thyeste une coupe remplie du sang de son fils. Ils se sont trompés. Ce sang, qu'on ne voyait pas, ne pouvait effaroucher les yeux ; et l’action de Cléopâtre, dans Rodogune, est plus criminelle et plus atroce que celle d’Atrée. Cependant on la voit avec un plaisir mêlé d’horreur. Le grand défaut d’Atrèe est qu’on ne peut s’intéresser à la vengeance raffinée d’une injure faite il y a vingt ans. On peut exercer une vengeance exécrable dans les premiers mouvements d’une juste colère; mais élever le fils d’un adultère sous le nom de son propre fils pour le faire manger en ragoût à son véritable père, quand cet enfant sera majeur, ce n’est là qu’une horreur absurde; et quand cette horreur est mise en vers obscurs, chevillés et barbares, il est impossible aux gens de goût de la supporter. Nous ne pouvons trop souvent faire cette remarque[1].

J’espère qu’elles vous satisferont encore aucunement sur le papier.

Aucunement, vieux mot qui signifie en quelque sorte, en partie, et qui valait mieux que ces périphrases.




ACTE PREMIER.


Scène I.


Vers 7. Quoi! Médée est donc morte, ami? — Non, elle vit;
  Mais un objet plus beau la chasse de mon lit, etc.

Je ne ferai sur ce début qu’une seule remarque, qui pourra servir pour plusieurs autres occasions. On voit assez que c’est là le style de la comédie ; on n’écrivait point alors autrement les tragédies. Les bornes qui distinguent la familiarité bourgeoise et

  1. Au moment où Voltaire publia cette note qu’il ajouta en 1774, il avait fait la remarque dont il y parle, dans son Éloge de Crébillon (voyez les Mélanges, année 1762) ; il l’a reproduite dans une remarque sur la scène iii de l’acte II d’Héraclius, et dans le Fragment d’une lettre qui fait la préface de ses Pelopides.