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REMARQUES SUR MÉDÉE.


la noble simplicité n’étaient point encore posées. Corneille fut le premier qui eut de l'élévation dans le style comme dans les sentiments. On en voit déjà plusieurs exemples dans cette pièce. Il y a de la justice à lui tenir compte du sublime qu’on y trouve quelquefois, et à n’accuser que son siècle de ce style comique, négligé et vicieux, qui déshonorait la scène tragique. Je n’insiste point sur la meilleure saison, sur les mille et mille malheurs, sur le Jason sans conscience, sur Creuse possédée autant vaut, sur une flamme accommodée au bien des affaires. C’était le malheureux style d’une nation qui ne savait pas encore parler. Et cela même fait voir quelle obligation nous avons au grand Corneille de s’être tiré, dans ses beaux morceaux, de cette fange où son siècle l’avait plongé, et d’avoir seul appris à ses contemporains l’art si longtemps inconnu de bien penser et de bien s’exprimer.

Vers 35. Et depuis, à Colchos, que fit votre Jason,
  Que cajoler Médée et gagner la toison ?

On doit dire ici un mot de cette fameuse toison d’or. La Colchide, pays de Médée, est la Mingrélie, pays barbare, toujours habité par des barbares, où l’on pouvait faire un commerce de fourrures assez avantageux. Les Grecs entreprirent ce voyage par le Pont-Euxin, qui est très-périlleux ; et ce péril donna de la célébrité à l’entreprise : c’est là l’origine de toutes ces fables absurdes qui eurent cours dans l’Occident. Il n’y avait alors d’autre histoire que des fables.


Vers 43. Et j’ai trouvé l’adresse, en lui faisant la cour,
  De relever mon sort sur les ailes d’Amour.

Ce vers est un exemple de ce mauvais goût qui régnait alors chez toutes les nations de l’Europe, Les métaphores outrées, les comparaisons fausses, étaient les seuls ornements qu’on employât; on croyait avoir surpassé Virgile et le Tasse quand on faisait voler un sort sur les ailes de l’Amour. Dryden comparait Antoine à un aigle qui portait sur ses ailes un roitelet, lequel alors s’élevait au-dessus de l’aigle; et ce roitelet, c’était l’empereur Auguste. Les beautés vraies étaient partout ignorées. On a reproché depuis à quelques auteurs de courir après l’esprit. En effet, c’est un défaut insupportable de chercher des épigrammes quand il faut donner de la sensibilité à ses personnages; il est ridicule de montrer ainsi l’auteur quand le héros seul doit paraître au naturel ; mais ce défaut puéril était bien plus commun du temps de Corneille que du notre. La pièce de Clitandre, qui précéda Médée, est