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PRÉFACE DU COMMENTATEUR. 179

vers... J'avois cru, comme plusieurs, que vous étiez le poète de la Critiquede l'École des Femmes, et que Licidas étoit un nom dé- guisé comme celui de M. de Corneille : car vous êtes sans doute le marquis de Mascarille, qui piaille toujours, qui ricane tou- jours, qui parle toujours, et ne dit jamais rien qui vaille, etc. » Ces horribles platitudes trouvaient alors des protecteurs, parce que Corneille était vivant. Jamais les Zoïle, les Cacon, les Fré- ron, n'ont vomi de plus grandes indignités. Il attaqua Corneille sur sa famille, sur sa personne ; il examina jusqu'à sa voix, sa démarche, toutes ses actions, toute sa conduite dans son domes- tique; et dans ces torrents d'injures il fut secondé par les mau- vais auteurs : ce que l'on croira sans peine.

J'épargne à la délicatesse des honnêtes gens, et à des yeux accoutumés à ne lire que ce qui peut instruire et plaire, toutes ces personnalités, toutes ces calomnies, que répandirent contre ce grand homme ces faiseurs de brochures et de feuilles, qui dés- honorent la nation, et que l'appât du plus léger et du plus vil gain engage, encore plus que l'envie, à décrier tout ce qui peut faire honneur à leur pays, à insulter le mérite et la vertu, à vo- mir imposture sur imposture, dans le vain espoir que quelqu'un de leurs mensonges pourra venir enfin aux oreilles des hommes en place, et servir à perdre ceux qu'ils ne peuvent rabaisser. On alla jusqu'à lui imputer des vers qu'il n'avait point faits : res- source ordinaire de la basse envie, mais ressource inutile, car ceux qui ont assez de lâcheté pour faire courir un ouvrage sous le nom d'un grand homme n'ayant jamais assez de génie pour l'imiter, l'imposture est bien reconnue.

Mais enfin, rien ne put obscurcir la gloire de Corneille, la seule chose presque qui lui restât. Le public de tous les temps et de toutes les nations, toujours juste à la longue, ne juge les grands hommes que par leurs bons ouvrages, et non par ce qu'ils ont fait de médiocre ou de mauvais.

Les belles scènes du Ciel, les admirables morceaux des Horaces, les beautés nobles et sages de China, le sublime de Cornélie, les rôles de Sévère et de Pauline, le cinquième acte de Rodogune, la conférence de Sertorius et de Pompée, tant de beaux morceaux tous produits dans un temps où l'on sortait à peine de la bar- barie, assureront à Corneille une place parmi les plus grands hommes jusqu'à la dernière postérité.

Ainsi l'excellent P»acine a triomphé des injustes dégoûts de M me de Sévigné, des farces de Subligny, des méprisables critiques de Visé, des cabales des Boyer et des Pradon. Ainsi Molière se

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