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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/336

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326 REMARQUES SUR LE COMTE D'ESSEX.

pour lui un goûl que son Age mettait à l'abri des soupçons : il était aussi brillant par son courage et par la hauteur de son es- prit que par sa bonne mine. Il demanda la permission d'aller conquérir, à ses dépens, un canton de l'Irlande, et se signala souvent en volontaire. Il fit revivre l'ancien esprit de la cheva- lerie, portant toujours à son bonnet un gant de la reine Elisabeth. C'est lui qui, commandant les troupes anglaises au siège de Rouen, proposa un duel à l'amiral de Villars-Rrancas, qui défendait la place, pour lui prouver, disait-il, dans son cartel, que sa maî- tresse était plus belle que celle de l'amiral. Il fallait qu'il entendît par là quelque autre dame que la reine Elisabeth, dont l'âge et le grand nez n'avaient pas de puissants charmes. L'amiral lui répondit qu'il se souciait fort peu que sa maîtresse fût belle ou laide, et qu'il l'empêcherait bien d'entrer dans Rouen. Il défendit très-bien la place, et se moqua de lui.

La reine le fit grand-maître de l'artillerie, lui donna Tordre de la Jarretière, et enfin le mit de son conseil privé. 11 y eut quelque temps le premier crédit; mais il ne fit jamais rien de mémorable, et lorsqu'en 1599 il alla en Irlande contre les rebelles, à la tète d'une armée de plus de vingt mille hommes, il laissa dépérir entièrement cette armée qui devait subjuguer l'Irlande en se montrant. Obligé de rendre compte d'une si mauvaise conduite devant le conseil, il ne répondit que par des bravades qui n'au- raient pas même convenu après une campagne heureuse. La reine, qui avait encore pour lui quelque bonté, se contenta de lui ôter sa place au conseil, de suspendre l'exercice de ses autres dignités, et de lui défendre la cour. Elle avait alors soixante et huit ans. Il est ridicule d'imaginer que l'amour pût avoir la moindre part dans cette aventure. Le comte conspira indigne- ment contre sa bienfaitrice; mais sa conspiration fut celle d'un homme sans jugement. Il crut que Jacques, roi d'Ecosse, héri- tier naturel d'Elisabeth, pourrait le secourir, et venir détrôner la reine. Il se flatta d'avoir un parti dans Londres; on le vit dans le rues, suivi de quelques insensés attachés à sa fortune, tenter inutilement de soulever le peuple. On le saisit, ainsi que plusieurs de ses complices. Il fut condamné et exécuté selon les lois, sans être plaint de personne. On prétend qu'il était devenu dévot dans sa prison, et qu'un malheureux prédicant presbytérien lui ayant persuadé qu'il serait damné s'il n'accusait pas tous ceux qui avaient part a son crime, il eut la lâcheté d'être leur délateur, et de déshonorer ainsi la fin de sa vie. Le goût qu'Elisabeth avait eu autrefois pour lui, et dont il était en effet très-peu digne, a

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