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La seconde utilité du poëme dramatique se rencontre en la naïve peinture des vices et des vertus.

Ni dans la tragédie, ni dans l’histoire, ni dans un discours public, ni dans aucun genre d’éloquence et de poésie, il ne faut peindre la vertu odieuse et le vice aimable. C’est un devoir assez connu. Ce précepte n’appartient pas plus à la tragédie qu’à tout autre genre ; mais de savoir s’il faut que le crime soit toujours récompensé, et la vertu toujours punie sur le théâtre, c’est une autre question. La tragédie est un tableau des grands événements de ce monde ; et malheureusement plus la vertu est infortunée, plus le tableau est vrai. Intéressez : c’est le devoir du poëte : rendez la vertu respectable : c’est le devoir de tout homme.

Il est certain que nous ne saurions voir un honnête homme sur notre théâtre sans lui souhaiter de la prospérité, et nous fâcher de ses infortunes.

On ne sort point indigné contre Racine et contre les comédiens, de la mort de Britannicus et de celle d’Hippolyte. On sort enchanté du rôle de Phèdre et de celui de Burrhus ; on sort la tête remplie des vers admirables qu’on a entendus :

Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,
De son ouvrage en vous laisse un long souvenir[1].

C’est là le grand point. C’est le seul moyen de s’assurer un succès éternel. C’est le mérite d’Auguste et de Cinna, c’est celui de Sévère dans Polyeucte.

La quatrième [utilité du théâtre consiste] en la purgation des passions, par le moyen de la pitié et de la crainte.

Pour la purgation des passions, je ne sais pas ce que c’est que cette médecine. Je n’entends pas comment la crainte et la pitié purgent, selon Aristote. Mais j’entends fort bien comment la crainte et la pitié agitent notre âme pendant deux heures, selon la nature, et comment il en résulte un plaisir très-noble et très-délicat, qui n’est bien senti que par les esprits cultivés.

Sans cette crainte et cette pitié, tout languit au théâtre. Si on ne remue pas l’âme, on l’affadit. Point de milieu entre s’attendrir et s’ennuyer.

Le poëme est composé de deux sortes de parties. Les unes sont appelées parties de quantité ou d’extension… Les autres se peuvent nommer des parties intégrantes.

  1. Boileau, Art poét., III, 157-158.