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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/371

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Inventez des ressorts qui puissent m’attacher[1].

Il ne faut pas sans doute choquer l’histoire connue, encore moins les mœurs des peuples qu’on met sur la scène. Peignez ces mœurs, rendez votre fable vraisemblable, qu’elle soit touchante et tragique, que le style soit pur, que les vers soient beaux ; et je vous réponds que vous réussirez.

Les apparitions de Vénus et d’Éole ont eu bonne grâce dans Andromède.

Pas si bonne grâce.

Qu’auroit-on dit si, pour démêler Héraclius d’avec Martian, après la mort de Phocas, je me fusse servi d’un ange ?

Nous avouons ingénument que nous aimerions presque autant un ange descendant du ciel que le froid procès par écrit qui suit la mort de Phocas, et qu’on débrouille à peine par une ancienne lettre de l’impératrice Constantine ; lettre qui pourrait encore produire bien des contestations.

Louis Racine, fils du grand Racine, a très-bien remarqué les défauts de ce dénoûment d’Héraclius, et de cette reconnaissance qui se fait après la catastrophe ; nous avons toujours été de son avis sur ce point : nous avons toujours pensé qu’un dénoûment doit être clair, naturel, touchant ; qu’il doit être, s’il se peut, la plus belle situation de la pièce. Toutes ces beautés sont réunies dans Cinna. Heureuses les pièces où tout parle au cœur, qui commencent naturellement, et qui finissent de même !

Je ne condamnerai jamais personne pour en avoir inventé ; mais je ne me le permettrai jamais.

Nous ne voyons pas pourquoi Corneille ne se serait pas permis une tragédie dans laquelle un père reconnaîtrait un fils après l’avoir fait périr. Il nous semble qu’un tel sujet pourrait produire un très-beau cinquième acte. Il inspirerait cette crainte et cette pitié qui sont l’âme du spectacle tragique.

Aristote… dit qu’il ne faut pas changer les sujets reçus.

Nous pensons qu’on pourrait changer quelques circonstances principales dans les sujets reçus, pourvu que ces circonstances changées augmentassent l’intérêt, loin de le diminuer.

Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas[2].

  1. Boileau, Art poétique, III, 26.
  2. Horace, De Arte poetica, 10.