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CORRESPONDANCE.

mariage du roi, leurs morts ne feront pas le moindre petit bruit.

Ces jours passés, le carrosse de M. le prince de Conti[1] renversa, en passant, le pauvre Martinot, horloger du roi, qui fut écrasé sous les roues, et mourut sur-le-champ. On ne prendra pas plus garde à la mort de MM. de La Vrillière et de Gramont qu’à celle de Martinot, à moins que quelqu’un n’ose demander, malgré les survivances, la place de secrétaire d’État et celle de colonel des gardes. Cependant on fait tout ce qu’on peut ici pour réjouir la reine.

Le roi s’y prend très-bien pour cela. Il s’est vanté de lui avoir donné sept sacrements, pour la première nuit ; mais je n’en crois rien du tout. Les rois trompent toujours leurs peuples. La reine fait très-bonne mine, quoique sa mine ne soit point du tout jolie. Tout le monde est enchanté ici de sa vertu et de sa politesse. La première chose qu’elle a faite a été de distribuer aux princesses et aux dames du palais toutes les bagatelles magnifiques qu’on appelle sa corbeille : cela consistait en bijoux de toute espèce, hors des diamants. Quand elle vit la cassette où tout cela était arrangé : « Voilà, dit-elle, la première fois de ma vie que j’ai pu faire des présents. » Elle avait un peu de rouge le jour du mariage, autant qu’il en faut pour ne pas paraître pâle. Elle s’évanouit un petit instant dans la chapelle, mais seulement pour la forme. Il y eut le même jour comédie. J’avais préparé un petit Divertissement[2] que M. de Mortemart[3] ne voulut point faire exécuter. On donna à la place Amphitryon et le Médecin malgré lui : ce qui ne parut pas trop convenable. Après le souper il y eut un feu d’artifice avec beaucoup de fusées, et très-peu d’invention et de variété ; après quoi le roi alla se préparer à faire un dauphin. Au reste, c’est ici un bruit, un fracas, une presse, un tumulte épouvantable. Je me garderai bien, dans ces premiers jours de confusion, de me faire présenter à la reine ; j’attendrai que la foule soit écoulée, et que Sa Majesté soit un peu revenue de l’étourdissement que tout ce sabbat doit lui causer. Alors je tâcherai de faire jouer Œdipe et Mariamne devant elle ; je lui

  1. Louis Armand de Bourbon, prince de Conti, mort en 1727 ; le même qui adressa des vers à Voltaire, en 1718, à l’occasion d’Œdipe. Louis-François de Bourbon-Conti, son fils, né en 1717, tua aussi, par accident, le P. Du Cerceau, en 1730. (Cl.)
  2. Ce Divertissement est dans les Pièces inédites de Voltaire, publiées par M. Jacobsen, en 1820. Nous le donnons dans le Supplément aux Poésies de Voltaire, tome XXXII.
  3. Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, premier gentilhomme de la chambre, mort en 1740.