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ANNÉE 1731.

où l’esprit humain ait fait plus de progrès que parmi nous ? Voici un jeune homme de seize ans[1] qui exécute en effet ce qu’on a dit autrefois de M. Pascal, et qui donne un traité sur les courbes, qui ferait honneur aux plus grands géomètres. L’esprit de raison pénètre si bien dans les écoles qu’elles commencent à rejeter également et les absurdités inintelligibles d’Aristote, et les chimères ingénieuses de Descartes. Combien d’excellentes histoires n’avons-nous pas depuis trente ans ? Il y en a telle qui se lit avec plus de plaisir que Philippe de Comines ; il est vrai qu’on n’ose l’avouer tout haut, parce que l’auteur est encore vivant[2] : et le moyen d’estimer un contemporain autant qu’un homme mort il y a plus de deux cents ans !

Ploravere suis non respondere favorem
Speratum meritis.

(Hor., lib. II, ep. i, vers 9 et 10.)

Personne n’ose convenir franchement des richesses de son siècle. Nous sommes comme les avares qui disent toujours que le temps est dur. J’abuse de votre patience, messieurs ; pardonnez cette longue lettre et toutes ces réflexions au devoir d’un honnête homme qui a dû se justifier, et à mon amour extrême pour les lettres, pour ma patrie, et pour la vérité.

Je suis, etc.



217. — À M. DE CIDEVILLE.
Ce jeudi matin.

Mon cher ami, vous n’avez point ici de maîtresse qui vous aime plus que moi ; le premier plaisir que je goûte, en arrivant à Paris, est celui de vous écrire, et je vous réponds que je vais arranger mes affaires de façon que je vous reverrai bientôt. Je n’oublierai de ma vie les marques d’amitié que vous m’avez données à Rouen ; vous avez trouvé le secret de me faire passer avec délices un temps où la maladie et la solitude auraient dû me rendre la vie bien ennuyeuse. Un esprit comme le vôtre est fait pour adoucir les chagrins et pour augmenter les plaisirs de tous ceux avec lesquels il vit. Je vous demande à présent de mettre à Argus et à Isis le temps que vous vouliez bien employer à m’adoucir ma prison de Rouen. Adieu ; il n’est plus question pour moi

  1. Clairaut, (K.)
  2. L’abbé de Vertot. Voyez tome XIV, page 142.