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ANNÉE 1731.

laissent six heures sans secours un homme qu’un instant peut tuer ! Que cela serve de leçon à ceux qui auront leurs amis attaqués de la même maladie ! Mon cher Cideville, je vous remercie bien tendrement de la part que vous prenez à la cruelle affliction où je suis. Il n’y a que des amis comme vous qui puissent me consoler. J’ai besoin plus que jamais que vous m’aimiez. Je me veux du mal d’être à Paris. Je voudrais et je devrais être à Rouen. J’y viendrai assurément le plus tôt que je pourrai. Je ne suis plus capable d’autre plaisir dans le monde que de celui de sentir les charmes de votre société.

Je ne vous mande aucune nouvelle ni de moi, ni de mes ouvrages, ni de personne. Je ne pense qu’à ma douleur et à vous.



226. — À M. DE CIDEVILLE.
À Paris, ce 2 octobre 1731.

La mort de M. de Maisons, mon cher ami, occupait toutes mes idées, quand je fis réponse à la lettre que j’ai reçue de vous. J’avais à vous parler d’un de vos amusements qui m’est bien cher, et auquel je m’intéresse plus qu’à mes occupations : c’est ce joli opéra que vous avez ébauché de main de maître, et que vous finirez quand il vous plaira. J’en avais parlé chez Mme la princesse de Guise, à Arcueil, quelque temps avant la perte que j’ai faite. Je voulais tous les jours vous rendre compte de ce qui s’était passé à Arcueil ; mais la douleur extrême où j’étais, et ces premiers moments de désespoir qui saisissent le cœur, quand on voit mourir dans ses bras quelqu’un qu’on aime tendrement, ne m’ont pas permis de vous écrire. Enfin ma tendre amitié pour vous, qui égale la perte que j’ai faite, et que je regarde comme ma plus douce consolation, remet mon esprit dans une assiette assez tranquille pour vous parler de ce petit ouvrage pour qui j’ai tant de sensibilité. Je dis, sans vous nommer, qu’un de mes amis s’était amusé à faire un opéra plein de galanterie, de tendresse, et d’esprit, sur les trois sujets que j’expliquai, et dont je me hasardai de dire le plan. Tout fut extrêmement goûté, et il n’y eut personne qui ne témoignât son chagrin de voir que nous n’ayons point de musicien capable de servir un poëte si aimable. Monseigneur le comte de Clermont[1], qui était de la compagnie, et à la tête de ceux qui avaient grande impatience d’entendre l’ouvrage, envoya chercher sur-le-champ, à Paris, un musicien qui est

  1. Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, né en 1709, mort en 1771.