Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
239
ANNÉE 1731.

je vous ai adressé, sous le couvert de M. de Formont, avec une lettre pour le premier président ? Je n’ai entendu parler depuis ni de vous ni de M. de Formont. Vous êtes d’étranges gens. Vous ne m’avez écrit avec quelque assiduité que quand vous avez eu quelques services à me rendre. Est-ce que vous ne m’aimiez qu’à proportion du besoin que j’ai eu de vous ? Au moins intéressez-vous au succès de cette histoire, que vous avez aidée à paraître au monde. Elle a reçu quelque légère contradiction du ministère et nulle du public.

Mais savez-vous qu’il y a eu une lettre de cachet contre Jore ? Je fus assez heureux pour le savoir, et assez prompt pour l’avertir à temps. Un quart d’heure plus tard, mon homme était à la Bastille : le tout pour avoir imprimé une préface un peu ironique à la tête du procès du père Girard[1]. Cette préface était de l’abbé Desfontaines, à qui je sauve la prison pour la seconde fois ; et mon avis est qu’il ne l’a méritée que lorsqu’il m’a payé d’ingratitude, car je ne pense pas qu’on doive, en bonne justice, coffrer un homme pour avoir suivi la morale des jésuites, ni pour l’avoir décriée.

J’attends toujours certain opéra, et travaille à certaine tragédie. Ce même M. de Launai[2] qui s’est chargé dÈriphyle vient de donner au Théâtre italien une petite comédie allégorique intitulée la Vérité fabuliste ; je ne l’ai point encore vue ayant eu tous ces jours-ci beaucoup d’affaires. On en dit peu de bien et peu de mal : ce qui est la marque infaillible de la médiocrité. Le Chevalier Bayard[3] vient d’être sifflé à la Comédie française et n’est plus, comme autrefois, le chevalier sans peur et sans reproche. On va donner l’Èrigone de l’auteur des Philippiques. Piron travaille de son côté incognito. Voilà bien des provisions pour le théâtre. Vous savez sans doute qu’on a imprimé des lettres vraies ou fausses de l’abbé Montgon, dans lesquelles les ministres de ces pays-ci sont extrêmement maltraités ; mais cet ouvrage, imprimé à la Haye, ne paraît point encore à Paris ; peut-être en a-t-on acheté toute l’édition pour la supprimer. À propos d’édition je vous prie d’engager M. Desforges à empêcher que Machuel ne réussisse dans le dessein qu’il a de contrefaire Charles XII. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur, et suis à vous bien tendrement pour toute ma vie.

  1. Sur le procès du père Girard, voyez tome XXIV, page 243.
  2. Auteur dramatique ; né en 1695, mort vers 1752.
  3. Comédie héroïque d’Autreau, jouée le 23 novembre 1731.