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CORRESPONDANCE.

troupe du faubourg Saint-Germain. La pièce a attendri, a fait verser des larmes ; mais c’est gagner en première instance un procès qu’on peut fort bien perdre en dernier ressort. Le cinquième acte est la plus mauvaise pièce de mon sac, et pourra bien me faire condamner. On me jouera immédiatement après le Glorieux[1] ; c’est une pièce de M. Destouches, de laquelle on vous aura sans doute rendu compte. Elle a beaucoup de succès, et peut-être en aura-t-elle moins à la lecture qu’aux représentations. Ce n’est pas qu’elle ne soit, en général, bien écrite ; mais elle est froide par le fond et par la forme, et je suis persuadé qu’elle n’est soutenue que par le jeu des acteurs pour lesquels il a travaillé. C’est un avantage qui me manque. J’ai fait ma pièce pour moi, et non pour Dufresne et pour Sarazin. Je l’ai même travaillée dans un goût auquel ni les acteurs ni les spectateurs ne sont accoutumés. J’ai été assez hardi pour songer uniquement à bien faire plutôt qu’à faire convenablement ; mais, après tout, si je ne réussis pas, il n’y en aura pas pour moi moins de honte ; et on m’accablera d’autant plus que le petit succès qu’a eu l’Histoire du roi de Suède a soulevé l’envie contre moi. Elle m’attend au parterre pour me punir d’avoir un peu réussi en prose. Je ferais bien mieux de ne plus songer au théâtre, puisque

Palma negata macrum, donata reducit opimum.

(Hor., lib. II, ep. i, v. 181.)

Il vaudrait mieux cent fois revenir achever mes Lettres anglaises auprès de vous.

O vanas hominum mentes, o pectora cæca !

(Lucr., liv. II, v. 14.)

Voilà bien du babil pour un malade ; mais je vous aime, mon cher Cideville, et le cœur est toujours un peu diffus.



241. — À M. DE CIDEVILLE.
Ce mercredi des Cendres, 27 février.


La beauté qu’en secret Cideville idolâtre
Voit en lui deux talents rarement réunis :
Le cœur aimable de Daphnis,
Et le v… du héros qui f…… Cléopâtre.

  1. Joué, pour la première fois, le 18 janvier 1732.