Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/263

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
245
ANNÉE 1731.

mande que des critiques, et le cas que je fais des vôtres. J’attends réponse.



240 — À M. DE CIDEVILLE.
3 février 1732.

Enfin, mon cher Cideville, Ériphyle et mes souffrances me laissent un moment de liberté ; et j’en profite, quoique bien tard, pour m’entretenir avec vous, pour vous parler de ma tendre amitié, et pour vous demander pardon d’avoir été si longtemps sans vous écrire. M. de Formont, que j’ai le bonheur de voir tous les jours, sait combien nous vous regrettons. Les moments agréables que je passe avec lui me font souvenir des heures délicieuses que j′ai passées avec vous. J’étais, pour le moins, aussi malade que je le suis, mais vous m’empêchiez de le sentir, M. de Lézeau est aussi à Paris ; mais je le vois aussi peu que je vois souvent M. de Formont, quoique ce soit lui qui ait écrit de sa main le premier acte d′Ériphyle. Pourquoi faut-il que ce soit M. de Lézeau qui soit à Paris, et que vous restiez à Rouen ! Pardon cependant de mes souhaits ; je ne songeais qu’à moi, et je ne faisais pas réflexion que le séjour de Rouen vous est peut-être infiniment cher, et que vous êtes le plus heureux de tous les hommes. Si cela est, comme je n’en doute pas, souffrez donc au moins que je vous en félicite. Je m’intéresse à votre bonheur avec autant de discrétion que vous en apportez pour être heureux. Je présume même que cette félicité dont je vous parle a retardé un peu votre petit opéra.

Tous êtes trop tendre pour croire
Que de Quinault la poétique gloire
De tous les biens soit le plus précieux[1].

Pour moi, qui suis assez malheureux pour ne faire ma cour qu’à Ériphyle, j’ai retravaillé ma tragédie avec l’ardeur d’un homme qui n’a point d’autre passion. Dieu veuille que je n’aie pas brodé un mauvais fond, et que je n’aie pas pris bien de la peine pour me faire siffler !

Enfin les rôles sont entre les mains des comédiens, et, en attendant que je sois jugé par le parterre, j’ai fait jouer la pièce chez Mme de Fontaine-Martel, qui m’a (comme vous savez peut-être) prêté un logement pour cet hiver. Ériphyle a été exécutée par des acteurs qui jouent incomparablement mieux que la

  1. Vers parodiés d’Armide, acte V, scène i.