Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/304

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lorsque je fus pris dans Césarée ; deux autres furent massacrés devant moi avec leur mère. Ô mes fils ! ô martyrs ! veillez du haut du ciel sur mes autres enfants, s’ils sont vivants encore. Hélas ! j’ai su que mon dernier fils et ma fille furent conduits dans ce sérail. Vous qui m’écoutez, Nérestan, Zaïre, Chàtillon, n’avez-vous nulle connaissance de ces tristes restes du sang de Godefroi et de Lusignan ? »

Au milieu de ces questions, qui déjà remuaient le cœur de Nérestan et de Zaïre, Lusignan aperçut au bras de Zaïre un ornement qui renfermait une croix : il se ressouvint que l’on avait mis cette parure à sa fille lorsqu’on la portait au baptême ; Châtillon l’en avait ornée lui-même, et Zaïre avait été arrachée de ses bras avant que d’être baptisée. La ressemblance des traits, l’âge, toutes les circonstances, une cicatrice de la blessure que son jeune fils avait reçue, tout confirme à Lusignan qu’il est père encore ; et la nature parlant à la fois au cœur de tous les trois, et s’expliquant par des larmes : « Embrassez-moi, mes chers enfants, s’écria Lusignan, et revoyez votre père ! » Zaïre et Nérestan ne pouvaient s’arracher de ses bras. « Mais, hélas dit ce vieillard infortuné, goûterai-je une joie pure ? Grand Dieu, qui me rends ma fille, me la rends-tu chrétienne ? » Zaïre rougit et frémit à ces paroles. Lusignan vit sa honte et son malheur, et Zaïre avoua qu’elle était musulmane. La douleur, la religion, et la nature, donnèrent en ce moment des forces à Lusignan ; il embrassa sa fille, et, lui montrant d’une main le tombeau de Jésus-Christ, et le ciel de l’autre, animé de son désespoir, de son zèle, aidé de tant de chrétiens, de son fils, et du Dieu qui l’inspire, il touche sa fille, il l’ébranlé ; elle se jette à ses pieds, et lui promet d’être chrétienne.

Au moment arrive un officier du sérail, qui sépare Zaïre de son père et de son frère, et qui arrête tous les chevaliers français. Cette rigueur inopinée était le fruit d’un conseil qu’on venait de tenir en présence d’Orosmane. La flotte du saint Louis était partie de Chypre, et on craignait pour les côtes de Syrie ; mais un second courrier ayant apporté la nouvelle du départ de saint Louis pour l’Égypte, Orosmane fut rassuré ; il était lui-même ennemi du Soudan d’Égypte. Ainsi n’ayant rien à craindre, ni du roi, ni des Français qui étaient à Jérusalem, il commanda qu’on les renvoyât à leur roi, et ne songea plus qu’à réparer, par la pompe et la magnificence de son mariage, la rigueur dont il avait usé envers Zaïre,

Pendant que le mariage se préparait, Zaïre, désolée, demanda