Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au Soudan la permission de revoir Nérestan encore une fois. Orosmane, trop heureux de trouver une occasion de plaire à Zaïre, eut l’indulgence de permettre cette entrevue. Nérestan revit donc Zaïre ; mais ce fut pour lui apprendre que son père était près d’expirer, qu’il mourait entre la joie d’avoir retrouvé ses enfants, et l’amertume d’ignorer si Zaïre serait chrétienne, et qu’il lui ordonnait en mourant d’être baptisée ce jour-là même de la main du pontife de Jérusalem. Zaïre, attendrie et vaincue, promit tout, et jura à son frère qu’elle ne trahirait point le sang dont elle était née, qu’elle serait chrétienne, qu’elle n’épouserait point Orosmane, qu’elle ne prendrait aucun parti avant que d′avoir été baptisée.

À peine avait-elle prononcé ce serment qu’Orosmane, plus amoureux et plus aimé que jamais, vient la prendre pour la conduire à la mosquée. Jamais on n’eut le cœur plus déchiré que Zaïre ; elle était partagée entre son Dieu, sa famille et son nom, qui la retenaient, et le plus aimable de tous les hommes, qui l’adorait. Elle ne se connut plus ; elle céda à la douleur, et s’échappa des mains de son amant, le quittant avec désespoir, et le laissant dans l′accablement de la surprise, de la douleur, et de la colère.

Les impressions de jalousie se réveillèrent dans le cœur d’Orosmane. L’orgueil les empêcha de paraître, et l’amour les adoucit. Il prit la fuite de Zaïre pour un caprice, pour un artifice innocent, pour la crainte naturelle à une jeune fille, pour toute autre chose enfin que pour une trahison. Il vit encore Zaïre, lui pardonna, et l’aima plus que jamais. L’amour de Zaïre augmentait par la tendresse indulgente de son amant. Elle se jette en larmes à ses genoux, le supplie de différer le mariage jusqu’au lendemain. Elle comptait que son frère serait alors parti, qu’elle aurait reçu le baptême, que Dieu lui donnerait la force de résister : elle se flattait même quelquefois que la religion chrétienne lui permettrait d’aimer un homme si tendre, si généreux, si vertueux, à qui il ne manquait que d’être chrétien. Frappée de toutes ces idées, elle parlait à Orosmane avec une tendresse si naïve et une douleur si vraie qu’Orosmane céda encore, et lui accorda le sacrifice de vivre sans elle ce jour-là. Il était sûr d’être aimé ; il était heureux dans cette idée, et fermait les yeux sur le reste.

Cependant, dans les premiers mouvements de jalousie, il avait ordonné que le sérail fût fermé à tous les chrétiens. Nérestan, trouvant le sérail fermé, et n’en soupçonnant pas la cause, écrivit une lettre pressante à Zaïre : il lui mandait d’ouvrir une