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ANNÉE 1713.


de votre cœur pour ne vouloir pas m’en rendre digne : adieu, mon adorable Olympe ; adieu, ma chère ; si on pouvait écrire en des baisers, je vous en enverrais une infinité par le courrier. Je baise, au lieu de vous, vos précieuses lettres, où je lis ma félicité. Adieu, mon cher cœur.

Arouet.


15. — DE MADEMOISELLE DUNOYER[1].

Dans l’incertitude où je suis si j’aurai le plaisir de te voir ce soir, je t’avertis que ce n’était pas M. de La Bruyère[2], qui était hier chez nous. C’est une méprise de la cordonnière, qui nous alarma fort mal à propos. Ma mère ne sait pas que je t’ai parlé, et, grâce au ciel, elle te croit déjà parti. Je ne te parlerai point de ma santé ; c’est ce qui me touche le moins, et je pense trop à toi pour avoir le temps de penser à moi-même. Je t’assure, mon cher cœur, que si je doutais de ta tendresse je me réjouirais de mon mal ; oui, mon cher enfant, la vie me serait trop à charge si je n’avais la douce espérance d’être aimée de ce que j’ai de plus cher au monde.

Fais ce que tu pourras pour que je te voie ce soir : tu n’auras qu’à descendre dans la cuisine du cordonnier, et je te réponds que tu n’as rien à craindre, car notre faiseuse de quintessence[3] te croit déjà à moitié chemin de Paris. Ainsi, si tu le veux, j’aurai le plaisir de te voir ce soir ; et si cela ne se peut pas, permets-moi d’aller à la messe de l’hôtel. Je prierai M. La Bruyère de me montrer la chapelle : la curiosité est permise aux femmes ; et puis, sans faire semblant de rien, je lui demanderai si l’on n’a pas encore de tes nouvelles, et depuis quand tu es parti. Ne me refuse pas cette grâce, mon cher Arouet, je te le demande au nom de ce qu’il y a de plus tendre, c’est-à-dire au nom de l’amour que j’ai pour toi. Adieu, mon aimable enfant ; je t’adore, et je te jure que mon amour durera autant que ma vie !

Dunoyer.

P. S. Au moins, si je n’ai pas le plaisir de te voir, ne me refuse pas la satisfaction de recevoir de tes chères nouvelles.

  1. Publiée par M. Desnoiresterres avec la note suivante :

    « C’est à l’obligeance de notre savant ami M. Paul Lacroix, que nous sommes redevable de l’indication de cette curieuse pièce, perdue dans un ouvrage tout à fait oublié, le Miroir des Salons, de Mme  de Saint-Surin (2e édition, 1834), p. LXXVII, LXXVIII, LXXIX. Cet autographe provenait de la collection de M. de Monmerqué, qui devait épouser plus tard l’auteur du Miroir. Il paraîtrait, à en croire la note placée en tête de ce billet, que Voltaire le portait sur lui quand il fut mis à la Bastille (1717). Mme  de Saint-Surin nous avertit qu’elle a rétabli l’orthographe, car Olympe en était aussi complètement dépourvue que toutes les femmes de son temps. C’est là une peine dont on l’eût volontiers dispensée. »

  2. Secrétaire de l’ambassade de France.
  3. Mme  Dunoyer publiait, sous le titre de la Quintessence, une gazette anecdotique.