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et est mort chez les Scythes, Il n’y a qu’heur et malheur en ce monde. Je tâcherai de vivre à Paris comme La Fontaine, de mourir moins sottement que lui, et de n’être point exilé comme Ovide.

Je ne veux pas assurément, pour trois ou quatre feuillets d’impression, me mettre hors de portée de vivre avec mon cher Cideville. Je sacrifierais tous mes ouvrages pour passer mes jours avec lui. La réputation est une fumée, l’amitié est le seul plaisir solide.

Je n’ai pas un moment, mon cher ami. Je suis circonvenu d’affaires, d’ouvriers, d’embarras et de maladies. Je ne suis pas encore fixé dans mon petit ménage : c’est ce qui fait que je vous écris en courant. J’embrasse notre philosophe Formont. Je n’ai pas encore eu le temps de lui écrire.

Adieu. Je ne sais pas encore si Linant sera un grand poëte ; mais je crois qu’il sera un très-honnête et très-aimable homme.


354. — Á M. DE FORMONT.
À Paris, vis-à-vis Saint-Gervais, ce 26 juillet.

Je compte, mon cher Formont, envoyer par Jore, à mes deux amis et à mes deux juges de Rouen, de gros ballots de vers de toute espèce ; mais il faut, en attendant, que je prenne quelques leçons de prose avec vous. Je ne crois pas que nos Lettres anglaises effrayent sitôt les cagots. Je suis bien aise de les tenir prêtes, pour les lâcher quand cela sera indispensable ; mais j’attendrai que les esprits soient préparés à les recevoir, et je prendrai avec le public

· · · · · · · · · · faciles aditus et mollia fandi
Tempora · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

(Virg., Énéide, liv. IV, v. 293.)

Je vous prierai cependant de les relire. Je crois qu’après un mûr examen de votre part vous taillerez bien de la besogne à Jore, et qu’il nous faudra bien des cartons. Nous serons à peu près du même avis sur le fond des choses. Il n’y aura que la forme à corriger : car, en vérité, mon cher métaphysicien, y a-t-il un être raisonnable qui, pour peu que son esprit n’ait pas été corrompu dans ces révérendes petites-maisons de théologie, puisse sérieusement s’élever contre M. Locke ? Qui osera dire qu′il est impossible que la matière puisse penser ?

Quoi ! Malebranche, ce sublime fou, dira que nous ne sommes sûrs de l’existence des corps que par la foi, et il ne sera pas permis de dire que nous ne sommes sûrs de l’existence des substances