J’ai reçu votre lettre, mon cher ami. Je ne vous parlerai pas, cette fois-ci, de philosophie ; je ne vous dirai pas combien je me repens de n’avoir pas montré plus au long tous les faux raisonnements et les suppositions plus fausses encore dont les Pensées de Pascal sont remplies. Je veux vous entretenir de ma situation présente, au sujet de cette malheureuse édition qu’on m’a si indignement imputée.
Demoulin m’est venu trouver dans ma retraite, et m’a confirmé qu’il croyait l’homme que vous savez coupable de cette trahison. « Il n’a jamais osé vous écrire, me disait-il ; et il l’aurait fait s’il n’avait craint de donner quelques armes contre lui. Par tous les discours qu’il m’a tenus, ajouta-t-il, je suis certain qu’il a fait cette édition, dont il aura tiré peu d’exemplaires, et qui, n’étant pas tout à fait conforme à l’autre, devait servir à sa justification, en cas de soupçon. Il voulait, par là, se mettre à l’abri de vos justes plaintes et de la sévérité du ministère. Il ne vous écrit point ; il a même eu l’insolence de dire à M. Hérault que c’était chez vous qu’était cette édition qu’on débite dans Paris ; et c’est sur cette infâme calomnie d’un scélérat d’imprimeur, ingrat à toutes vos bontés, qu’on est venu visiter chez vous. »
Voilà les discours que me tient Demoulin ; et, quand je songe que j’ai trouvé, dans les exemplaires qu’on vend à Paris, les mêmes fautes qui s’étaient glissées dans les premières feuilles imprimées autrefois, et depuis supprimées, je suis bien tenté d’être de l’avis de Demoulin.
D’un autre côté, j’apprends qu’un nommé René Josse faisait encore une édition de ce livre, laquelle a été découverte. Ce René Josse a été dénoncé à Demoulin par François Josse son parent. Ce François Josse a bien l’air d’avoir fait lui-même, de concert avec son cousin René, l’édition qui a fait tant de vacarme. Il y a grande apparence que ce François Josse, qui a eu entre les mains un des trois exemplaires que j’avais, et qui me l’a fait relier, il y a deux mois et demi, en aura abusé, l’aura fait copier, et l’aura imprimé, avec René ; que, depuis, la jalousie qu’il aura eue de la deuxième édition de René l’aura porté à la dénoncer. Voilà ce que je conjecture ; voilà ce que je vous prie de peser avec M. de Cideville. Vous pouvez, après cela, avoir la bonté d’en parler à Jore. S’il n’est pas coupable, il doit être charmé d’avoir cette ouverture pour se justifier. Mais, coupable ou non,