Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/452

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de trois semaines. D′abord je vais vous mettre au fait de ma situation avec Jore.

Dès le 3 mai, je fus averti que le livre paraissait, et qu’il y avait une lettre de cachet. Mes amis de Paris me mandèrent qu′ils croyaient que j’apaiserais tout si je livrais l’édition, que le garde des sceaux supposait entre mes mains. Je fis réponse que je n’avais point d’édition, et je me mis en retraite.

Je fus extrêmement surpris que Jore ne m’eût point écrit pour m’instruire de ce qui se passait. Il devait bien s’attendre que la publication du livre, et son silence, le rendraient coupable dans mon esprit. Ne sachant s’il était libre ou à la Bastille, je lui écrivis ces propres paroles par Demoulin : « S’il est vrai que vous ayez une édition de ce livre (ce que je ne crois pas), ou si vous en pouvez trouver une, portez-la chez M. Rouillé, et je la payerai au prix qu’il taxera. »

C’était lui faire entendre que je ne l’accusais pas, et que je lui donnais un moyen de se sauver et de ne rien perdre, s’il était coupable. J’ai fait plus ; quand je sus certainement qu’il était à la Bastille, j’écrivis à M. Rouillé et à M. Hérault les lettres les plus fortes par lesquelles je leur attestais l’innocence du prisonnier. Je ne sais pas quels indignes mensonges ont employés les interrogateurs, mais je sais que l’interrogé m’a chargé contre toute raison, contre la vérité, contre son honneur, et contre son intérêt, en un mot, en vrai libraire. Vous en verrez la preuve dans la lettre ci-jointe, que je vous prie de brûler : elle est d’un conseiller au parlement, intime ami de M. Hérault et de M. Rouillé.

Sur la déposition de ce misérable, M. Hérault assura M. le cardinal de Fleury et monsieur le garde des sceaux que c’était moi-même qui étais l’auteur de l’édition débitée ; et monsieur le cardinal écrivit, le 28 mai, à un de mes amis, qui m’a renvoyé la lettre du cardinal.

Cependant Mme d’Aiguillon et plusieurs autres personnes avaient parlé vivement en ma faveur au garde des sceaux ; et ma liberté et la fin de mon affaire ne tenaient plus qu’à une lettre de désaveu que l’on exigeait de moi. Tout le monde m’en écrivit, mais toutes les lettres allèrent à un endroit où je n’étais pas. Je n’en reçus aucune dans la retraite où j’étais. Cette erreur fut causée par Demoulin, qui fait mes affaires, mais qui est un peu inattentif. Mon silence fit croire au garde des sceaux que je ne voulais pas plier ; et son opiniâtreté se fâchant contre la mienne, il a fait rendre ce bel arrêt[1],

  1. Du 10 juin 1734 : rapporté dans une note, tome XXII, page 77.