Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/453

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qui déshonore la grand’chambre, et qui ne rend pas les Lettres philosophiques plus mauvaises. Cependant j’étais prêt à obéir à monsieur le garde des sceaux, et il n’en savait rien.

Que conclure de tout ceci, et que faire ? Premièrement, je conclus qu’il y a des événements dans la vie qu’il faut souffrir sans murmure, comme la fièvre ; que la publication de ces Lettres est une infidélité cruelle qu’on m’a faite, sans que j’en sache précisément l’auteur ; que le grand tort de Jore est de ne m’avoir point écrit, de ne m’avoir point informé de ses démarches, et surtout de m’avoir accusé si mal à propos, si lâchement, et avec si peu de bon sens. Vous lui ferez entendre raison quand vous le verrez, et vous saurez de lui ses malheurs et ses fautes.

Je joins ici la copie d’une lettre à un de mes amis[1], au lieu de vous ennuyer de nouvelles réflexions. Je viens de recevoir une lettre de notre ami Formont. J’allais lui répondre ; mais voici des nouvelles si affreuses qui me viennent, touchant M. de Richelieu, que la plume me tombe des mains[2]. Je mourrais de douleur si elles étaient vraies. Mon Dieu ! quel funeste mariage j’aurais fait ! V.

Adieu, mon tendre ami ; mes compliments à tous nos amis.


417. — Á M. DE LA CONDAMINE.
Le 22 juin.

Si la grand’chambre était composée, monsieur, d’excellents philosophes, je serais très-fàché d’y avoir été condamné ; mais je crois que ces vénérables magistrats n’entendent que très-médiocrement Newton et Locke. Ils n’en sont pas moins respectables pour moi, quoiqu’ils aient donné autrefois[3] un arrêt en faveur de la physique d’Aristote, qu’ils aient défendu de donner l’émétique, etc. ; leur intention est toujours très-bonne. Ils croyaient que l’émétique était un poison ; mais, depuis que plusieurs conseillers de grand’chambre furent guéris par l’émétique, ils changèrent d’avis, sans pourtant réformer leur jugement ; de sorte qu’encore aujourd’hui l’émétique demeure proscrit par un arrêt, et que M. Silva ne laisse pas d’en ordonner à messieurs, quand

  1. M. de La Condamine. (K.)
  2. Plusieurs des princes de la maison de Lorraine avaient été mécontents de ce mariage ; l’un d’eux (le prince de Lixen) le fit sentir durement à M. de Richelieu, au camp de Philisbourg ; ils se battirent sur le revers de la tranchée, et M. de Lixen fut tué. (K.)
  3. Voyez tome XII, page 580 ; XVI, 21.