Rameau crie, Rameau dit que je lui coupe la gorge, que je le traite en Philistin ; que si l’abbé Pellegrin avait fait un Samson pour lui, il n’en démordrait pas ; il veut qu’on le joue ; il me demande un prologue. Vous me paraissez vous-même un peu raccommodé avec mon samsonet. Allons donc, je vais faire le petit Pellegrin, et mettre l’Éternel sur le théâtre de l’Opéra ; et nous aurons de beaux psaumes pour ariettes. On m’a condamné comme fort mauvais chrétien cet été ; je vais être un dévot faiseur d’opéra cet hiver ; mais j’ai bien peur que ce ne soit une pénitence publique. Excommunié, brûlé, et sifflé, n’en est-ce point trop pour une année ? J’ai envie de faire de cela un petit prologue. Je voudrais bien chanter, en un fade prologue, nos césars à quatre sous par jour[1], et la bataille de Parme[2], et cette formidable place de Philisbourg ; mais cette cacade de Dantzick[3] retient mon enthousiasme. Il me semble que je ferais un beau prologue à Pétersbourg. La czarine[4] n’est point dévote, et elle donne des royaumes. Nous ferions un beau chœur du quatrain de La Condamine.
Voici une petite épître[5] que je vous supplie de rendre à Mme de Bolingbroke. On dit qu’elle a engagé Matignon le sournois[6] à parler au garde des sceaux. Ce garde des sceaux donne eau bénite de cour ; un excommunié en a toujours besoin. Mais, s’il vous plaît, quel si grand mal trouveriez-vous si on allait dans un faubourg passer huit jours sans paraître ? On y souperait avec vous, on serait caché comme un trésor, et on décamperait de son trou à la première alarme. On a des affaires après tout ; il faut y mettre ordre, et ne pas s’exposer à voir tout d’un coup sa petite fortune au diable. Mais cela n’est rien ; le cœur me conduit, et mon cœur n’entend point raison. Écrivez-moi, de grâce, vos petites réflexions sur ce. Avez-vous eu la bonté de dire quelque chose pour moi au porteur[7] de drapeaux ? Avez-vous dit à M. Pont-de-Veyle combien je lui suis attaché ? Voyez-vous quelquefois Mme du Chàtelet ? Écrivez-moi, mon cher ami ; je suis
- ↑ Voyez tome X, les vers 10 et 11 de l’épître datée du 3 juillet 1734.
- ↑ Voyez tome XV, le chapitre iv du Précis du Siècle de Louis XV.
- ↑ Voyez ibidem.
- ↑ Anne Iwanowna, impératrice en 1730, morte le 28 octobre 1740.
- ↑ Elle nous est inconnue. (Cl.)
- ↑ La même épithète est donnée à Matignon dans l′Épître à M. le duc d’Aremberg, datée jusqu’à présent de 1745, mais que Beuchot croit de 1715 ou 1716 ; voyez tome X, page 223.
- ↑ Sans doute le fils du maréchal de Coigny. Il fut envoyé au roi Louis XV, avec des drapeaux pris à l’ennemi, lors de la bataille de Parme, du 29 juin 1734.