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CORRESPONDANCE.

de plus flatteur que de pouvoir compter sur votre amitié. Je resterai encore quelques jours à la Haye pour y prendre toutes les mesures nécessaires sur l’impression de mon poëme[1], et je partirai lorsque les beaux jours finiront. Il n’y a rien de plus agréable que la Haye, quand le soleil daigne s’y montrer. On ne voit ici que des prairies, des canaux, et des arbres verts : c’est un paradis terrestre depuis la Haye jusqu’à Amsterdam. J’ai vu avec respect cette ville, qui est le magasin de l’univers. Il y avait plus de mille vaisseaux dans le port. De cinq cent mille hommes qui habitent Amsterdam il n’y en a pas un d’oisif, pas un pauvre, pas un petit-maître, pas un insolent. Nous rencontrâmes le Pensionnaire à pied, sans laquais, au milieu de la populace. On ne voit là personne qui ait de cour à faire. On ne se met point en haie pour voir passer un prince. On ne connaît que le travail et la modestie. Il y a à la Haye plus de magnificence et plus de société par le concours des ambassadeurs. J’y passe ma vie entre le travail et le plaisir, et je vis ainsi à la hollandaise et à la française. Nous avons ici un opéra détestable ; mais, en revanche, je vois des ministres calvinistes, des arminiens, des sociniens, des rabbins, des anabaptistes, qui parlent tous à merveille, et qui, en vérité, ont tous raison. Je m’accoutume tout à fait à me passer de Paris, mais non pas à me passer de vous. Je vous réitère mon engagement de venir vous trouver à la Rivière[2], si vous y êtes encore au mois de novembre. N’y restez pas pour moi, mais souffrez seulement que je vous y tienne compagnie, si votre goût vous fixe à la campagne pour quelque temps. Permettez-moi de présenter mes respects à M. de Bernières et à tout ce qui est chez vous. Je suis toujours avec un dévouement très-respectueux, etc.


63. — À M. THIERIOT[3].

À la Haye, 8 octobre.

Vous avez dû recevoir deux lettres de moi, et voici la troisième depuis huit jours. Je viens de recevoir le poème de Ra-

    18 octobre), elle ne tarda pas à épouser un garde du corps nommé Prudhomme ; elle mourut âgée de soixante-neuf ans, le 2 décembre 1757. (Cl.)

  1. C’était Guyot de Merville (né en 1696, mort en 1755) qui était chargé de revoir les épreuves de la Henriade, à la Haye.
  2. La Rivière-Bourdet, château qu’on voit encore, dans la commune de Quévillon, à environ trois lieues de Rouen, au-dessous de cette ville, sur la rive droite de la Seine. Il appartenait à Mme  de Bernières.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.