Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/139

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Rousseau ne sache pas même calomnier. L’origine de sa haine contre moi vient, dit-il, en partie de ce que j’ai parlé de lui de la manière la plus indigne (ce sont ses termes) à M. le duc d’Aremberg. Je ne sais pas ce qu’il entend par une manière indigne. Si j’avais dit qu’il avait été banni de France par arrêt du Parlement, et qu’il faisait de mauvais vers à Bruxelles, j’aurais, je crois, parlé d’une manière très-digne ; mais je n’en parlai point du tout, et pour le confondre sur cette sottise comme sur le reste, voici la lettre que je reçois dans le moment de M. le duc d’Aremberg :

« Enghien, ce 8 septembre 1736.

« Je suis très-indigné, monsieur, d’apprendre que mon nom est cité, dans la Bibliothèque, sur un article qui vous regarde. On me fait parler très-mal à propos et très-faussement, etc. Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

« Le duc d’Aremberg. »

Voyons s’il sera plus heureux dans ses autres accusations. Je lui récitai, dit-il, une épître contre la religion chrétienne. Si c’est la Moïsade dont il veut parler, il sait bien que ce n’est pas moi qui l’ai faite. Il assure qu’à la police de Paris j’ai été appelé en jugement pour cette épître prétendue. Il n’y a qu’à consulter les registres : son nom s’y trouve plusieurs fois, mais le mien n’y a jamais été. Rousseau voudrait bien que j’eusse fait quelque ouvrage contre la religion, mais je ne peux me résoudre à l’imiter en rien.

Il a ouï dire qu’il fallait être hypocrite pour venir à bout de ses ennemis, et je conviens qu’il a cherché cette dernière ressource.

Rousseau, sujet au camouflet,
Fut autrefois chassé, dit-on,
Du théâtre à coups de sifflet,
De Paris à coups de bâton ;
Chez les Germains chacun sait comme
Il s’est garanti du fagot ;
Il a fait enfin le dévot,
Ne pouvant faire l´honnète homme.

Ce n’est pas assez de faire le dévot pour nuire ; il y faut un peu plus d’adresse : je remercie Dieu que Rousseau soit aussi maladroit qu’hypocrite ; sans ce contre-poids, il eût été trop dangereux,