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mettre à la poste pour le sieur Jacques Ferrand. Vous verrez par cette lettre que le banquier à qui vous vous adresserez ne doit faire nulle difficulté de mettre son nom lui-même dans ma lettre de change, attendu que j’en donne avis à celui sur qui je tire. Voilà bien du verbiage. Je vous embrasse.

Voici un modèle de la lettre qu’il faut écrire au prince de Guise.


764. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Ruppin, 6 juillet.

Monsieur, si j’étais né poëte, j’aurais répondu en vers aux stances charmantes, à votre lettre du 27 mai ; mais des revues, des voyages, des coliques et des fièvres, m’ont tellement fatigué que Phébus est demeuré inexorable aux prières que je lui ai faites de m’inspirer son feu divin.

Remusberg est la seule où je voudrais aller.

Ce vers m’a causé le plus grand plaisir du monde ; je l’ai lu plus de mille fois. Ce serait une apparition bien rare dans ce pays qu’un génie de votre ordre, un homme libre de préjugés, et dont l’imagination est gouvernée par la raison. Quel bonheur pourrait égaler le mien si je pouvais nourrir mon esprit du vôtre, et me voir guidé par vos soins dans le chemin du beau ?

Je ne vous ai donné l’histoire de Rémus que pour ce qu’elle vaut. Les origines des nations sont pour la plupart fabuleuses ; elles ne prouvent que l’antiquité des établissements. Mettez l’anecdote de Rémus à côté de l’histoire de la sainte ampoule et des opérations magiques de Merlin.

Les antiquaires à capuchon ne seront jamais ni mes historiographes, ni les directeurs de ma conscience. Que votre façon de penser est différente de celle de ces suppôts de l’erreur ! Vous aimez la vérité, ils aiment la superstition ; vous pratiquez les vertus, ils se contentent de les enseigner ; ils calomnient, et vous pardonnez. Si j’étais catholique, je ne choisirais ni saint François d’Assise, ni saint Bruno pour mes patrons ; j’irais droit à Cirey, où je trouverais des vertus et des talents supérieurs en tout genre à ceux de la haire et du froc.

Ces rois sans amitié et sans retour, dont vous me parlez, me paraissent ressembler à la bûche que Jupiter donna pour roi aux grenouilles[1]. Je ne connais l’ingratitude que par le mal qu’elle m’a fait. Je peux même dire, sans affecter des sentiments qui ne me sont pas naturels, que je renoncerais à toute grandeur si je la croyais incompatible avec l’amitié. Vous avez bien votre part à la mienne. Votre naïveté, cette sincérité et cette noble confiance que vous me témoignez dans toutes les occasions, méritent bien que je vous donne le titre d’ami.

  1. La Fontaine, livre III, fable iv.