Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/299

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cette noble passion que la France est redevable de son Académie et des arts qui y fleurissent encore.

Quant à la métaphysique, je ne crois pas qu’elle fasse jamais fortune ailleurs qu’en Angleterre. Vous avez vos bigots, nous avons les nôtres. L’Allemagne ne manque ni de superstitieux, ni de fanatiques entêtés de leurs préjugés, et malfaisants au dernier point, et qui sont d’autant plus incorrigibles que leur stupide ignorance leur interdit l’usage du raisonnement. Il est certain qu’on a lieu d’être prudent dans la compagnie de pareils sujets. Un homme qui passe pour n’avoir point de religion, fût-il le plus honnête homme du monde, est généralement décrié. La religion est l’idole des peuples ; ils adorent tout ce qu’ils ne comprennent point. Quiconque ose y toucher d’une main profane s’attire leur haine et leur abomination. J’aime infiniment Cicéron ; je trouve dans ses Tusculanes beaucoup de sentiments conformes aux miens. Je ne lui conseillerais pas de dire, s’il vivait de nos jours :

Mourir peut être un mal, mais être mort n’est rien.

En un mot, Socrate a préféré la ciguë à la gêne de contenir sa langue ; mais je ne sais s’il y a plaisir à être le martyr de l’erreur d’autrui. Ce qu’il y a de plus réel pour nous dans ce monde, c’est la vie ; il me semble que tout homme raisonnable devrait tâcher de la conserver.

Je vous assure que je méprise trop les jésuites pour lire leurs ouvrages. Les mauvaises dispositions du cœur éclipsent en eux toutes les qualités de l’esprit. Nous vivons d’ailleurs si peu, et nous avons, pour la plupart, si peu de mémoire, qu’il ne faut nous instruire que de ce qu’il y a de plus exquis.

Je vous envoie par cet ordinaire l’Histoire de la Vierge de Czenstochoic, par M. de Beausobre[1] ; j’espère que vous serez content du tour et du style de cette pièce. Autant que je m’y connais, je n’ai point remarqué de fautes contre la pureté de la langue. Il est vrai que la plupart des réfugiés[2] la négligent beaucoup. Il s’en trouve pourtant quelques-uns qui, je crois, pourraient ne pas être réprouvés par votre Académie. Nos universités et notre Académie des sciences se trouvent dans un triste état ; il parait que les muses veulent déserter ces climats.

Fédéric 1er, roi de Prusse[3], prince d’un génie fort borné, bon, mais

  1. Il est à croire que c’était un manuscrit. La Bibliothèque germanique, tomes XVIII, XX, XXV, XXVII, XXVIII, XXXI, contient des articles de Beausobre sur la Vierge érigée en reine de Pologne : le tome XXXII, pages 73-107, et le tome XXXIV, pages 67-95, contiennent deux articles sur la Vierge reine de Pologne, dont le dernier se termine par ces mots : « La description de votre image est finie ; nous en lirons l’histoire une autre fois. » Mais cette Histoire promise n’a point paru dans la Bibliothèque germanique. (B.)
  2. Aussi dit-on : style de réfugié. (B.)
  3. Frédéric 1er, aïeul de Frédéric II, fut proclamé roi en janvier 1691, et devint veuf, en février 1705, de Sophie-Charlotte, qu’il avait épousée en 1684. Voyez, tome XV, dans le Précis du Siècle de Louis XV, chap. vi, la note sur les cinq premiers princes qui ont gouverné la Prusse.