Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en chemin. Je reçois, le 10 octobre, une lettre du 16 août, remplie de verset d’excellente morale, et de bonne métaphysique, et de grands sentiments, et d’une bonté qui enchante mon creur. Ah ! monseigneur, pourquoi êtes-vous prince ? Pourquoi n’êtes-vous pas, du moins un an ou deux, un homme comme les autres ? On aurait le bonheur de vous voir ; et c’est le seul qui me manque, depuis que vous daignez m’écrire. Vous êtes comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob ; vous communiquez avec les fidèles par le ministère des anges. Vous nous aviez envoyé l’ange Césarion, et il est trop tôt retourné vers son ciel ; nous vous avons vu dans votre ambassadeur. Vous voir face à face est un bonheur qui ne nous est pas donné : c’est pour les élus de Remusberg.

Notre petit paradis de Cirey présente ses très-humbles respects à votre empyrée, et la déesse Émilie s’incline devant Gott-Frédéric. J’ai donc enfin reçu après mille détours, et cette belle lettre, l’ode, et le troisième cahier de la Métaphysique wolffienne. Voilà, encore une fois, de ces bienfaits que les autres rois, ces pauvres hommes, qui ne sont que rois, sont incapables de répandre.

Je vous dirai sur cette Mètaphysique, un peu longue, un peu trop pleine de choses communes, mais d’ailleurs admirable, très bien liée, et souvent très-profonde ; je vous dirai, monseigneur, que je n’entends goutte à l’être simple de Wolff. Je me vois transporté tout d’un coup dans un climat dont je ne puis respirer l’air, sur un terrain où je ne puis mettre le pied, chez des gens dont je n’entends point la langue. Si je me flattais d’entendre cette langue, je serais peut-être assez hardi pour disputer contre M. Wolff, en le respectant, s’entend. Je nierais, par exemple, tout net la définition de l’étendue, qui est, selon ce philosophe, la continuité des êtres. L’espace pur est étendu, et n’a pas besoin d’autres êtres pour cela. Si M. Wolff nie l’espace pur, en ce cas nous sommes de deux religions différentes ; qu’il reste dans la sienne, et moi dans la mienne. Je suis tolérant ; je trouve très-bon qu’on pense autrement que moi, car que tout soit plein ou non, ne m’importe ; et moi, je suis tout plein d’estime pour lui.

Je ne peux finir sur les remerciements que je dois à Votre Altesse royale. Vous daignez encore me promettre des mémoires sur ce que le czar a fait pour le bien des hommes : c’est ce qui vous touche le plus ; c’est l’exemple que vous devez surpasser, et le thème que je dois écrire. Vous êtes né pour commander à des hommes plus dignes de vous que les sujets du