Savez-vous bien ce qui m’a plu davantage dans votre lettre ? C’est l’espérance que vous me donnez de venir apporter un jour vos hommages à la divinité de Cirey. Vous y verriez une retraite de hiboux, que les Grâces ont changée en un palais d’Albane. Voici quatre vers que fit Linanf, ces jours passés, sur le château :
Un voyageur, qui ne mentit jamais,
Passe à Cirey, s’arrête, le contemple ;
Surpris, il dit : « C’est un palais ; »
Mais, voyant Émilie, il dit que c’est un temple.
Vous m’avouerez que voilà un fort joli quatrain. Vous en verrez bien d’autres, si vous venez jamais dans cette vallée de Tempé ; mais Pollion ne voudra jamais vous prêter pour quinze jours.
J’ai peur de ne vous avoir point parlé des vers[1] que l’aimable Bernard a faits pour moi. Vous savez tout ce qu’il faut lui dire.
Adieu ; je souffre, mais l’amitié diminue tous les maux.
Un peu de maladie, monsieur, m’a privé de la consolation de vous écrire des pouilles de ma main. Je me sers d’un secrétaire ; je me donne des airs d’intendant. Hélas ! cruel que vous êtes, c’est bien vous qui faites l’intendant avec moi, en ne répondant pas à mes requêtes ! J’avais cru vous faire ma cour et flatter votre goût, en vous envoyant, il y a quelques mois, une scène[2] tout entière traduite d’un vieil auteur anglais ; mais vous ne vous souciez ni de l’Anglais ni de moi. Vous aviez promis à Mme du Châtelet des petits cygnes de Moulins et des petits bateaux. Savez-vous bien que des bagatelles, quand on les a promises, deviennent solides et sacrées, et qu’il vaudrait mieux être deux ans sans faire payer la taille aux peuples de la mère aux gaines[3] que de manquer d’envoyer des petits cygnes à Cirey ? Vous croyez donc qu’il n’y a dans le monde que des ministres, Moulins, et Versailles ?