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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/435

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l’intrigue, trop compliquée, ne laisse pas aux passions le temps de paraître ; parce que les vers en sont fort faibles ; en un mot, parce qu’elle manque de cette éloquence qui seule fait passer à la postérité les ouvrages de prose et les vers. Je ne doute pas que M. de La Chaussée n’ait mis dans sa pièce tout ce qui manque à celle de Thomas Corneille. Personne n’entend mieux que lui l’art des vers ; il a l’esprit cultivé par de longues études, et plein de goût et de ressources. Je crois qu’il se pliera aisément à tout ce qu’il voudra entreprendre. Je l’ai toujours regardé comme un homme fort estimable, et je suis bien aise qu’il continue à confondre le misérable auteur des Aïeux chimériques et des trois Épîtres[1] tudesques où ce cynique hypocrite prétendait donner des règles de théâtre, qu’il n’a jamais mieux entendues que celles de la probité. Je m’aperçois que je vous ai appelé monsieur ; mais dominus entre nous veut dire amicus.


837. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
(Cirey) février[2].

Monseigneur, une maladie qui a fait le tour de la France est enfin venue s’emparer de ma figure légère, dans un château qui devrait être à l’abri de tous les fléaux de ce monde, puisqu’on y vit sous les auspices divi Federici et divæ Æmiliæ. J’étais au lit lorsque je reçus à la fois deux lettres bien consolantes de Votre Altesse royale, l’une par la voie de M. Thieriot, à qui Votre Altesse royale, très-juste dans ses épithètes, donne celle de trompette[3], mais qui est aussi une des trompettes de votre gloire ; l’autre lettre est venue en droiture à sa destination.

Toutes celles dont vous m’avez honoré, monseigneur, ont été autant de bienfaits pour moi ; mais la dernière est celle qui m’a causé le plus de joie. Ce n’est pas simplement parce qu’elle est la dernière, c’est parce que vous avez jugé des défauts de Mérope comme si Votre Altesse royale avait passé sa vie à fréquenter nos théâtres. Nous en parlions, la sublime Émilie et moi, et nous nous demandions si cette crainte que marquait Polyphonte au quatrième acte, si cette langueur du vieux bonhomme Narbas, et ce soin de se conserver, au cinquième,

  1. Voyez tome XXII, page 233.
  2. Cette lettre, qui pourrait bien être du commencement de mars, répond à celles de Frédéric, du 19 janvier et du 4 février.
  3. Vovez une note sur la lettre 815.