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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/464

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fruits d’un arbre sauvage ; les vôtres sont d’un arbre franc. En un mot :

Tandis que l’aigle altier s’élève dans les airs,
L’hirondelle rase la terre.
Philomèle est ici l’emblème de mes vers ;
Quant à l’oiseau du dieu qui porte le tonnerre,
Il ne convient qu’au seul Voltaire.

Je me conforme entièrement à votre sentiment touchant les pièces de théâtre. L’amour, cette passion charmante, ne devrait y être emplové que comme des épiceries que l’on met dans certains ragoûts, mais qu’on ne prodigue pas, de crainte d’émousser la finesse du palais. Mérope mérite de toutes manières de corriger le goût corrompu du public, et de relever Melpomène du mépris que les colifichets de ses ornements lui attirent. Je me repose bien sur vous des corrections que vous aurez faites aux deux derniers actes de cette tragédie. Peu de chose la rendrait parfaite ; elle l’est assurément à présent.

Corneille, après lui Racine, ensuite La Grange, ont épuisé tous les lieux communs de la galanterie et du théâtre. Crébillon a mis, pour ainsi dire, les Furies sur la scène ; toutes ses pièces inspirent de l’horreur, tout y est affreux, tout y est terrible. Il fallait absolument après eux quitter une route usée pour en suivre une plus neuve, une plus brillante.

Les passions que vous mettez sur le théâtre sont aussi capables que l’amour d’émouvoir, d’intéresser et de plaire. Il n’y a qu’à les bien traiter et les produire de la manière que vous le faites dans la Mêrope et dans la Mort de César.

Le ciel te réservait pour éclairer la France.
Tu sortais triomphant de la carrière immense
Que l’épopée offrait à tes désirs ardents ;
Et, nouveau Thucydide, on te vit avec gloire
Remporter les lauriers consacrés à l’histoire.
Bientôt d’un vol plus haut, par des efforts puissants,
Ta main sut débrouiller Newton et la nature ;
Et Melpomène enfin, languissant sans parure,
Attend tout à présent de tes riches présents.

Je quitte la brillante poésie pour m’abîmer avec vous dans le gouffre de la métaphysique ; j’abandonne le langage des dieux, que je ne fais que bégayer, pour parler celui de la divinité même, qui m’est inconnu. Il s’agit à présent d’élever le faîte du bâtiment dont les fondements sont très-peu solides. C’est un ouvrage d’araignée qui est à jour de tous côtés, et dont les fils subtils soutiennent la structure.

Personne ne peut être moins prévenu en faveur de son opinion que je le suis de la mienne. J’ai discuté la fatalité absolue avec toute l’application possible, et j’y ai trouvé des difficultés presque invincibles. J’ai lu une infinité de systèmes, et je n’en ai trouvé aucun qui ne soit hérissé d’absurdités : ce qui m’a jeté dans un pyrrhonisme affreux. D’ailleurs je n’ai aucune raison particulière qui me porte plutôt pour la fatalité absolue que pour