Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/501

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honnête. J’ai été si mécontent de la fautive et absurde édition des Éléments de Newton, et je crois vous avoir dit qu’elle fourmille de tant d’énormes fautes, que mon avertissement pour les journaux est devenu fort inutile. J’en ai écrit au Trublet[1], que je connais un peu, et je lui ai dit que je le priais seulement qu’on décriât l’édition et non moi. Le petit journaliste ne m’a pas encore répondu ; vous devriez le relever un peu de sentinelle, et, sur ce, je vous embrasse tendrement.


877. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
(Juin[2].)

Mon cher ami, ce titre vous est dû, et par votre rare mérite, et par la sincérité avec laquelle vous me faites apercevoir mes fautes. Je suis charmé de votre critique ; je corrigerai tous les endroits que vous avez marqués ; je travaillerai comme sous vos yeux. Vos lumières et vos censures seront comme les canaux qui forment les jets d’eau ; elles règleront l’essor de mon esprit ; et, plus vous mettrez de sévérité dans vos critiques, plus vous augmenterez mes obligations.

Votre quatrième Épître[3] est un chef-d’œuvre. Césarion et moi nous l’avons lue, relue, et admirée plus d’une fois. Je ne saurais vous dire à quel point j’estime vos ouvrages. La noble hardiesse avec laquelle vous débitez de grandes vérités m’enchante.

Au bord de l’infini ton cours doit s’arrêter.

Ce vers est peut-être le plus philosophique qui ait jamais été fait. L’orgueil de la plupart des savants n’est pas capable de se ployer sous cette vérité. Il faut avoir épuisé la philosophie pour en dire autant.

Vous avez un talent tout particulier pour exprimer les grands sentiments et les grandes vérités. Je suis charmé de ces deux vers :

O divine amitié, félicité parfaite ;
Seul mouvement de l’âme où l’excès soit permis !

Je voudrais pouvoir inculquer cette vérité dans le cœur de tous mes compatriotes et de tous les hommes. Si le genre humain pensait ainsi, nous

  1. Trublet (Nicolas-Charles-Joseph), né à Saint-Malo en 1697, mort en 1770, avait été reçu à l’Académie française en 1761, après bien des refus. De 1736 à 1739 il travaillait au Journal des Savants ; en 1760 il travaillait, avec les abbés Dinouart et Jouannet ou Joannet (voyez tome XXIV, page 129), au Journal ecclésiastique, que l’on cite aussi sous le titre de Journal chrétien, et qui, commencé en octobre 1760, existait encore en juillet 1792. (B.)
  2. Il se peut que cette lettre n’ait été écrite qu’après la revue à laquelle Frédéric fait allusion dans le sixième alinéa.
  3. Quatrième Discours sur l’Homme.