Je vois toujours, monseigneur, avec une satisfaction qui approche de l’orgueil, que les petites contradictions que j’essuie dans ma patrie indignent le grand cœur de Votre Altesse royale. Elle ne doute pas que son suffrage ne me récompense bien amplement de toutes ces peines. Elles sont communes à tous ceux qui ont cultivé les sciences, et, parmi les gens de lettres, ceux qui ont le plus aimé la vérité ont toujours été le plus persécutés.
La calomnie a voulu faire périr Descartes et Bayle ; Racine et Boileau seraient morts de chagrin s’ils n’avaient eu un protecteur dans Louis XIV. Il nous reste encore des vers qu’on a faits contre Virgile. Je suis bien loin de pouvoir être comparé à ces grands hommes ; mais je suis bien plus heureux qu’eux : je jouis de la paix ; j’ai une fortune convenable à un particulier, et plus grande qu’il ne la faut à un philosophe ; je vis dans une retraite délicieuse, auprès de la femme la plus respectable, dont la société me fournit toujours de nouvelles leçons. Enfin, monseigneur, vous daignez m’aimer ; le plus vertueux, le plus aimable prince de l’Europe daigne m’ouvrir son cœur, me confier ses ouvrages et ses pensées, et corriger les miennes. Que me faut-il de plus ? La santé seule me manque ; mais il n’y a point de malade plus heureux que moi.
Votre Altesse royale veut-elle permettre que je lui envoie la moitié du cinquième acte de Mérope, que j’ai corrigé ? Et si la pièce, après une nouvelle lecture, lui paraît digne de l’impression, peut-être la hasarderai-je.
Mme la marquise du Châtelet vient de recevoir le plan de Remusberg, dessiné par cet homme aimable[1] dont on se souviendra toujours à Cirey. Il est bien triste de ne voir tout cela qu’en peinture, etc… (Le reste manque.)
- ↑ Keyserlingk ; voyez, dans le volume suivant, la lettre 939.