Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/87

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et quoiqu’il n´y ait pas matière à procès, il fait un libelle sous le nom de factum pour m’en faire acheter la suppression.

Il est très-certain que le nom de monsieur le garde des sceaux est compromis dans cette lettre, que ce misérable veut absolument imprimer malgré vous.

Il ne tient qu’à vous, monsieur, d’user de votre autorité, d’empêcher les imprimeurs d’imprimer son libelle et la lettre, et de le pincer pour avoir osé s’avouer dans son exploit imprimeur d’un livre défendu.

Je viens de rendre compte par un Mémoire à M. Rouillé de ce qui s’est passé chez vous, comme vous me l’avez ordonné, afin qu’il en instruise monsieur le garde des sceaux s’il le voit avant vous.

Je vous aurais bien de l’obligation, monsieur, si vous vouliez avoir la bonté d’envoyer chercher le sieur Bayle, avocat, et lui faire honte de se charger d’une cause si odieuse.

P. S. Jore demeure chez Tabary, ancien libraire, rue du Paon, au petit hôtel Condé.


606. — FACTUM DE JORE.
9 juin 1736.

J’ai connu particulièrement le sieur de Voltaire pour lui avoir donné un logement chez moi, pendant un séjour de sept mois qu’il a fait à Rouen en 1731. Il choisit ma maison pour y descendre, et j’avoue que je fus doublement sensible à cette préférence, tant par les espérances flatteuses que j’en conçus pour mon commerce que par la vanité de posséder un hôte dont le nom faisait tant de bruit. Je ne pus cependant jouir de cet honneur aux yeux de la ville. Soit modestie, soit politique, le sieur de Voltaire ne voulut y être regardé que comme un seigneur anglais que des affaires d’État avaient obligé de se réfugier en France. Il parlait moitié anglais, moitié français. Toute ma maison fut fidèle au secret. Ainsi le seigneur anglais, content d’un respect vulgaire dû à son rang, échappa humblement aux honneurs qu’une ville composée de gens de condition et d’esprit n’aurait sans doute pas manqué de rendre à l’illustre Voltaire, si elle avait su que ce grand homme était renfermé dans l’enceinte de ses murs. Le sieur de Voltaire avait pour objet, dans son voyage, l’impression de son Charles XII, dont il fit faire deux éditions à la fois, et une nouvelle édition de la Henriade. Lorsque cet auteur dit qu’il ne vend point ses ouvrages, c’est à dire qu’il ne les vend point à forfait : effectivement, il y perdrait trop. il est dans l’usage de les faire imprimer à ses frais, et, après en avoir détaillé par lui-même une partie, il vend à un libraire le surplus de l’édition, qui tombe dans l’instant par une nouvelle, qu’il fait succéder à la faveur de quelques changements légers. C’est par ce petit savoir-faire que les faveurs des Muses ne sont point pour Voltaire des faveurs stériles, et que, devenu sage par