Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/14

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lise ce qu’en a dit le célèbre Boerhaave, qui vient de mourir[1]. Voici comment il s’explique dans une de ses harangues : « Si de la géométrie de Descartes vous passez à la physique, à peine croirez-vous que ces ouvrages soient du même homme ; vous serez épouvanté qu’un si grand mathématicien soit tombé dans un si grand nombre d’erreurs. Vous chercherez Descartes dans Descartes ; vous lui reprocherez tout ce qu’il reprochait aux péripatéticiens, c’est-à-dire que rien ne peut s’expliquer par ses principes[2]. »

C’est ainsi qu’on pense avec raison de Descartes dans presque toute l’Europe. Il est donc très-injuste qu’on me fasse en France un crime de l’avoir combattu, comme si c’était l’action d’un mauvais Français ; il faut qu’on songe que Gassendi, dont plusieurs opinions contraires à Descartes revivent dans mon ouvrage, était aussi d’une province de France ; il faut qu’on songe que vous êtes Français. Eh ! qu’importe que la vérité nous vienne de Bretagne, ou de Provence, ou de Cambridge ? C’est être en effet bon citoyen que de la chercher partout où elle est.

3° Le point de la question est uniquement de savoir si après que Newton a découvert une tendance, une gravitation, une attraction réelle, indisputable entre tous les globes célestes et entre tous les corps ; si après qu’il a mathématiquement déterminé les forces de cette gravitation entre les corps célestes, il la faut regarder comme un principe, comme une qualité primordiale, nécessaire à la formation de cet univers, donnée originairement à la matière par l’Être infini qui donne tout, ou bien si cette propriété de la matière est l’effet mécanique de quelque autre principe. Dans l’un et dans l’autre cas, il faut recourir à la main du Créateur, à sa volonté infiniment libre et infiniment puissante ; soit qu’il ait créé la matière dans l’espace, soit qu’il ait rempli tout l’espace de matière, soit qu’il ait donné la gravitation aux corps, soit qu’il ait formé des tourbillons dont la gravitation dépende, s’il est possible.

Ainsi, de quelque côté qu’on se tourne, newtonien et anti-newtonien, tous recourent également à l’Être des êtres. La seule différence qui est ici entre nous et nos adversaires, c’est que ceux qui paraissent d’abord admettre des idées plus simples, en voulant tout expliquer par l’impulsion, sont en effet obligés d’avoir recours à beaucoup de mouvements composés, à une infi-

  1. Boerhaave est mort le 23 septembre 1738.
  2. Cette citation est aussi tome XXIII, page 75.