Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/16

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Un des plus estimables philosophes de nos jours[1] qui est de vos amis, et qui m’honore aussi de quelque amitié, me faisait l’honneur de m’écrire, il y a quelques jours, qu’en regardant l’attraction comme principe, on devait craindre de ressembler à ceux qui admettaient l’horreur du vide dans une pompe avant qu’on connût la pesanteur de l’air. Il a très-grande raison, si en effet quelqu’un peut connaître la cause de la gravitation, comme on connaît le principe qui fait monter l’eau dans une pompe : car il est sûr qu’en ce cas la gravitation n’est qu’un effet, et non point une cause. Il y aurait seulement cette différence entre les péripatéticiens et nous, qu’ils voyaient facilement et sans surprise l’eau monter, et que c’est à l’aide de la plus sublime géométrie que Newton a vu la terre et les cieux graviter.

Mais je vais plus loin, et j’ai pris la liberté de dire à ce philosophe qu’en cas que l’on eût pu prouver autrefois que l’air ni aucun fluide ne peut, par le mécanisme ordinaire, faire monter l’eau dans les pompes, on eût été forcé alors d’admettre une loi primordiale de la nature par laquelle l’eau eût monté dans les pompes : car là où un phénomène ne peut avoir de cause, il faut bien qu’il soit une cause de lui-même.

Voilà le cas où il est très-vraisemblable que se trouve ’attraction, la gravitation : ce phénomène existe, et nul mortel n’en peut trouver la cause.

6° Quand Newton examine, dans le cours de ses Principes mathématiques, les différents rapports de la gravitation, il ne la considère qu’en géomètre, sans la regarder ni comme une cause ni comme un effet particulier ; de même que lorsqu’il parle (proposition 96) des inflexions de la lumière, il dit qu’il n’examine pas si la lumière est un corps ou non ; il s’explique avec cette précaution dans ses théorèmes, et va même jusqu’à dire qu’on pourrait appeler ces effets impulsion, afin de ne point mêler le physique avec le géométrique. Mais enfin, à la dernière page de son ouvrage, voici comme il s’explique en physicien aussi sublime qu’il est géomètre profond,

« J’ai jusqu’ici montré la force de la gravitation par les phénomènes célestes et par ceux de la mer, mais je n’en ai nulle part assigné la cause. Cette force vient d’un pouvoir qui pénètre au centre du soleil et des planètes, sans rien perdre de son activité, et qui agit non pas selon la quantité des superficies des particules de matière sur lesquelles elle agit, comme font les causes

  1. Mairan.