Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/19

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Si on voulait bien joindre à ces deux démonstrations tous les autres arguments dont j’ai rapporté une partie dans mon seizième chapitre[1] ; si on voulait bien voir qu’il est réellement impossible qu’un corps se meuve trois minutes dans un fuide qui soit de sa densité, et que par conséquent, dans toutes les hypothèses des tourbillons, tout mouvement serait impossible, on serait enfin forcé de se rendre de bonne foi ; on n’opposerait point à cette démonstration des subtilités qui ne l’éluderont jamais ; on n’irait point imaginer je ne sais quels corps à qui on attribue le don d’être denses sans être pesants, puisqu’il est démontré que toute matière connue est pesante, et que la gravitation agit en raison directe de la quantité de la matière ; enfin on ne perdrait point à combattre la vérité un temps précieux qu’on peut employer à découvrir des vérités nouvelles.

7° J’avouerai qu’il est bon que, dans l’établissement d’une découverte, les contradictions servent à l’affermir ; il est très-raisonnable, d’ailleurs, que des géomètres et des physiciens aient cherché à concilier les tourbillons avec les découvertes de Newton, avec les règles de Kepler, avec toutes les lois de la nature ; ils font connaître par ces efforts les ressources de leur génie.

À la bonne heure que le célèbre Huygens ait tenté de substituer aux tourbillons inadmissibles de Descartes d’autres tourbillons qui ne pressent plus perpendiculairement à l’axe[2], qui aient des directions en tout sens (chose pourtant assez inconcevable) ; que Perrault ait imaginé un tourbillon du septentrion au midi qui viendrait croiser un tourbillon circulaire d’orient en occident ; que M. Bulfinger hasarde et dise de bonne foi qu’il hasarde quatre tourbillons opposés deux à deux ; que Leibnitz ait été réduit à inventer une circulation harmonique ; que Malebranche ait imaginé de petits tourbillons mous qui composent l’univers qu’il lui a plu de créer ; que le Père Castel soit créateur d’un autre monde rempli de petits tourbillons à roues endentées les unes dans les autres ; que M. l’abbé de Molières fasse encore un nouvel univers tout plein de grands tourbillons formés d’une infinité de petits tourbillons souples et à ressorts ; qu’il applique à son hypothèse de très-belles proportions géométriques avec toute la sagacité possible : ces travaux servent au moins à étendre l’esprit et

  1. Le chapitre xvi de l’édition de 1738 est devenu le chapitre ii de la 3e partie : voyez tome XXII, page 512.
  2. Ce que Voltaire nomme ici les tourbillons de Huygens, c’est le germe de la théorie des ondulations. On conçoit qu’à cette époque Voltaire ait pu la confondre dans le groupe des hypothèses qu’il cite. Elle est actuellement inattaquable. (D.)