Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/227

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qu’à ces messieurs, mais c’était un pauvre géomètre, et il ne savait presque rien en physique : il y a des choses sur lesquelles le doute même n’est pas permis.

9° Il se mêle à l’optique mathématique un jugement de l’âme fondé sur l’expérience : c’est ce qui fait que nous nous formons des idées des distances, sans nous servir d’aucune mesure ; c’est pourquoi nous jugeons qu’un objet que nous voyons plus petit qu’à l’ordinaire est plus éloigné ; c’est ainsi que nous jugeons qu’un homme est en colère quand il grince les dents, qu’il roule les yeux, qu’il jure Dieu, et qu’il veut tuer son prochain. Si quelquefois les signes des passions nous trompent, ce qui arrive cependant rarement aux connaisseurs, les signes des distances nous trompent aussi quelquefois ; mais quand on les mesure mathématiquement, il n’y a plus d’erreur.

10° Dans les objections que vous faites sur la gravitation, sur l’attraction de la matière, vous faites voir, monsieur, toute la sagacité d’un homme qui eût mieux expliqué que moi toutes ces vérités s’il avait voulu s’y appliquer un peu. Mais, monsieur, ayez d’abord la bonté de croire que nous ne supposons rien du tout. Vous nous reprochez des hypothèses, nous n’en admettons pas la moindre. Newton a démontré, comme deux fois deux font quatre, que la même force qui fait retomber une pierre sur la terre retient les astres dans leurs orbites ; il a calculé cette force depuis Saturne jusqu’à nous ; il en a démontré les effets. Tout cela est une affaire de pure géométrie ; et de tous ceux qui ont étudié ces découvertes aucun n’a osé les nier. Quelques vieux cartésiens s’avisent de dire que Newton n’a vu tout cela qu’en mathématicien ; et ils se servent des tourbillons, de la matière subtile, et de tous ces misérables êtres de raison, pour expliquer un fait, un phénomène constant que Newton a découvert. On leur a prouvé que leurs tourbillons sont des chimères, et l’Europe se moque d’eux. N’importe : les bonnes gens n’en démordent point ; il leur en coûterait trop de retourner à l’école.

Turpe putant parere minoribus, et quæ
Imberbes didicere, senes perdenda fateri
.

(Hor., lib. II, ép. i.)

Reste à présent à savoir si cette attraction de la matière, cette gravitation établie par Newton et démontrée par lui, est un effet ou une cause : elle sera ce qu’on voudra. La chose existe ; et c’est bien assez pour des hommes d’avoir été jusque-là. Il y a, à la vérité, grande apparence que cette gravitation, qui fait la pesan-