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jours du plaisir. Je vous adresse un mot pour M. de Billy dont je ne sais pas la demeure. N’oubliez pas vos amis qui vont plaider dans les Pays-Bas, Adressez, je vous prie, vos lettres à Mme  la marquise du Châtelet, à l’Impératrice, à Bruxelles.

Je n’ai que le temps de vous renouveler les assurances de mon amitié. Je vais m’arranger pour partir. Adieu !


1157. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON.
À Cirey, ce 8 mai, en partant.

La Providence m’a fait rester, monsieur, un jour de plus que nous ne pensions, pour me faire recevoir la plus agréable lettre que j’aie reçue depuis que Mme  du Châtelet ne m’écrit plus[1]. Je viens de lui lire l’extrait que vous voulez bien nous faire d’un ouvrage dont on doit dire, à plus juste titre que de Télémaque, que le bonheur du genre humain naîtrait de ce livre[2] si un livre pouvait le faire naître.

En mon particulier jugez où vous poussez ma vanité : je trouve toutes mes idées dans votre ouvrage[3]. Ce ne sont point ici seulement les rêves d’un homme de bien[4], comme les chimériques projets du bon abbé de Saint-Pierre, qui croit qu’on lui doit des statues parce qu’il a proposé que l’empereur gardât Naples et qu’on lui otât le Mantouan, tandis qu’on lui a laissé le Mantouan et qu’on lui a ôté Naples. Ce n’est pas ici un projet de paix perpétuelle[5], que Henri IV n’a jamais eu ; ce n’est point un sermon contre Jules César, qui, selon le bon abbé, n’était qu’un sot parce qu’il n’entendait pas assez la méthode de perfectionner le scrutin ; ce n’est pas non plus la colonie de Salente, où M. de Fénelon veut qu’il n’y ait point de pâtissiers, et qu’il y ait sept façons de s’habiller ; c’est ici quelque chose de plus réel, et que l’expérience prouve de la manière la plus éclatante. Car, si vous en exceptez le pouvoir monarchique, auquel un homme de votre nom et de votre état ne peut souhaiter qu’un pouvoir immense, aux bornes près, dis-je, de ce pouvoir monarchique aimé et respecté par nous, l’Angleterre n’est-elle pas un témoignage subsis-

  1. Voltaire n’avait pas quitte Cirey depuis les premiers jours de mars 1737. et Mme  du Châtelet ne s’en était pas absentée.
  2. C’est l’abbé Torrasson qui disait cela ; voyez tome XXIII, page 464.
  3. Considérations sur le gouvernement ancien et présent de la France, ouvrage qui ne fut imprimé pour la première fois qu’en 1764, in-8o.
  4. Expression du cardinal Dubois. Voyez tome XXIII, page 128.
  5. Titre d’un ouvrage de l’abbé de Saint-Pierre, dont J.-J. Rousseau a fait un Extrait.