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1194. — À M. CÉSAR DU MISSY[1].

J’ai lu avec un plaisir bien vif votre estimable lettre, et Mme  la marquise du Châtelet y a été aussi sensible que moi ; nous voudrions que tous les gens de votre robe vous ressemblassent.

Vous êtes prêtre d’Apollon
Autant que de la sainte Église :
Sans doute votre main baptise
Avec l’eau du sacré vallon.
Les vers dont le dieu d’Hélicon
Si pleinement vous favorise
Sont bien au-dessus d’un sermon.
La brillante inspiration,
Dont l’esprit s’enivre au Parnasse,
Est un des beaux coups de la grâce,
Et voilà ma dévotion.

Si on avait pensé à peu près dans ce goût-là, monsieur, les hommes eussent vécu plus doucement ; il n’y eût eu ni concile de Constance, ni de Saint-Barthélemy.

Ah ! laissons le pape et Calvin
Disputer, en mauvais latin,
À qui peut, d’une main plus sûre,
Ouvrir et fermer la serrure
Des portes du jardin d’Éden.
Vivons sans crainte et sans chagrin
Dans le jardin de la nature ;
En tout temps, sous d’égales lois,
Cette adorable souveraine
Unit les peuples et les rois ;
La religion, moins humaine,
Les a divisés quelquefois.

Je vais passer deux ou trois mois en France, après quoi je reviendrai à Bruxelles ; je remets à ce temps-là à vous parler de la littérature. Je vous prie, monsieur, de me continuer votre amitié ; la dernière lettre que vous m’avez écrite me rend cette

  1. César du Missy, chapelain de l’église française de Saint-James à Londres, était né à Berlin d’une famille de réfugiés, et mourut à Londres au mois d’aupuste 1775. On a de lui des Dissertations sur les trois témoins célestes (dans le Journal britannique, de Maty), et des Fables. Cette lettre ne porte aucune date dans le volume d’où je l’ai extraite. Je la crois de septembre 1739. (B.)