Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/37

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votre amitié. Je n’ai guère vu jusqu’ici que des gens de lettres occupés de flatter les idoles du monde, d’être protégés par les ignorants, d’éviter les connaisseurs, de chercher à perdre leurs rivaux, et non à les surpasser. Toutes les académies sont infectées de brigues et de haines personnelles. Quiconque montre du talent a sur-le-champ pour ennemis ceux-là même qui pourraient rendre justice à ses talents, et qui devraient être ses amis.

M. Thieriot, dont vous connaissez l’esprit de justice et de candeur, et qui a lu dans le fond de mon cœur pendant vingt-cinq années, sait à quel point je déteste ce poison répandu sur la littérature. Il sait surtout quelle estime j’ai conçue pour vous dès que j’ai pu voir quelques-uns de vos ouvrages ; il peut vous dire que, même à Cirey, auprès d’une personne qui fait tout l’honneur des sciences et tout celui de ma vie, je regrettais infiniment de n’être pas lié avec vous.

Avec quel homme de lettres aurais-je donc voulu être uni, sinon avec vous, monsieur, qui joignez un goût si pur à un talent si marqué ? Je sais que vous êtes non-seulement homme de lettres, mais un excellent citoyen, un ami tendre. Il manque à mon bonheur d’être aimé d’un homme comme vous.

J’ai lu, avec une satisfaction très-grande, votre dissertation[1] sur le Pervigilium Veneris ; c’est là ce qui s’appelle traiter la littérature. Mme la marquise du Châtelet, qui entend Virgile comme Milton, a été vivement frappée de la finesse avec laquelle vous avez trouvé dans les Gèorgiques l’original du Pervigilium. Vous êtes comme ces connaisseurs nouvellement venus d’Italie, tout remplis de leur Raphaël, de leur Carrache, de leur Paul Véronèse, et qui démêlent tout d’un coup les pastiches de Boulogne.

Vous avez donné un bel essai de traduction dans vos vers :

C’est l’aimable printemps dont l’heureuse influence, etc.

Votre dernier vers,

Et le jour qu’il naquit fut au moins un beau jour,


me paraît beaucoup plus beau que

Ferrea progenies duris caput extulit arvis.

(Georg., lib. II, v.371.)
  1. Cette dissertation avait paru dans les Observations du 16 juillet 1738. sous le titre de Lettre de M. Lefranc, avocat général de la cour des aides de Montauban, à M. l’abbé Desfontaines.