Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/38

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Le sens de votre vers était, comme vous le dites très-bien, renfermé dans celui de Virgile. Souffrez que je dise qu’il y était renfermé comme une perle dans des écailles.

Je voudrais seulement que ce beau vers pût s’accorder avec ceux-ci, qui le précèdent :

De l’univers naissant le printemps est l’image ;
Il ne cessa jamais durant le premier âge.


J’ai peur que ce ne soient là deux mérites incompatibles ; si le printemps ne cessa point dans l’âge d’or, il y eut plus d’un beau jour. Vous pourriez donc sacrifier cet il ne cessa jamais, etc., à ce beau vers :

Et le jour qu’il naquit fut au moins un beau jour.


Ce dernier vers mérite le sacrifice que j’ose vous demander[1].

Vous voyez, monsieur, que je compte déjà sur votre amitié, et vous pardonnez sans doute à ma franchise. J’entre avec vous dans ces détails, parce qu’on m’a dit que vous traduisez toutes les Géorgiques. L’entreprise est grande. Il est plus difficile de traduire cet ouvrage en vers français qu’il ne l’a été de le faire en latin ; mais je vous exhorte à continuer cette traduction, par une raison qui me parait sans réplique : c’est que vous êtes le seul capable d’y réussir.

J’ai été votre partisan dans ce que vous avez dit de l’Énéide. Il n’appartient qu’à ceux qui sentent comme vous les beautés d’oser parler des défauts ; mais je demanderais grâce pour la sagesse avec laquelle Virgile a évité de ressembler à Homère dans cette foule de grands caractères qui embellissent l’Iliade. Homère avait vingt rois à peindre, et Virgile n’avait qu’Énée et Turnus.

Si vous avez trouvé des défauts dans Virgile, j’ai osé relever bien des bévues dans Descartes. Il est vrai que je n’ai pas parlé en mon propre et privé nom ; je me suis mis sous le bouclier de Newton. Je suis tout au plus le Patrocle couvert des armes d’Achille.

Je ne doute pas qu’un esprit juste, éclairé comme le vôtre, ne compte la philosophie au rang de ses connaissances. La France est, jusqu’à présent, le seul pays où les théories de Newton en physique, et de Boerhaave en médecine, soient combattues. Nous n’avons pas encore de bons éléments de physique ; nous avons

  1. Lefranc profita de cette critique.