Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

empire absolu sur les deux pièces ; mais, si j’ose avoir mon avis, Mahomet, malgré son faible cinquième acte, qui sera toujours faible, est un morceau très-singulier, et Zulime un peu in communi martyrum.

Vous ne voulez donc pas qu’une femme[1] soit aussi friponne que Tartuffe ? Il ne faut donc les représenter que faibles et point méchantes ? Dites-moi donc pourquoi on souffre Cléopâtre dans Rodogune ; et dites-moi pourquoi on ne peut peindre une femme friponne. S’il ne tenait qu’à adoucir les teintes, et à ne donner à M. Scrupulin d’autre crime que d’avoir épousé la maîtresse de son ami, ce serait l’affaire d’une heure. Il me paraît que le personnage d’Adine est bien intéressant, et je vous défie de nier que Mme  Burnet ne soit une bonne diablesse. Je crois qu’avec des corrections cette pièce serait assez suivie ; mais la physique ne s’accommode pas de tout cela, et j’y retourne. Je vous supplie de faire ma cour à M. de Solar[2], et de vouloir bien lui présenter mes très-humbles remerciements.

Je vous envoie le gros vin de Mahomet, et la crème fouettée de Zulime ; vous choisirez. Je baise les ailes de mes anges. La maison d’Ussé se souvient-elle de moi ?

Un petit mot ; c’est sur Pandore. Vous ne goûtez pas la scène de la friponnerie de Mercure, qui lui persuade d’ouvrir la cassette ; mais Mercure fait là l’office du serpent qui persuada Eve. Si Eve eût mangé par pure gourmandise, cela eût été bien froid ; mais le discours avec le serpent réchauffe l’histoire.

Je sais fort bien que l’aventure de Pandore n’est pas à l’honneur des dieux ; je n’ai pas prétendu justifier leur providence, surtout depuis que vous êtes malade.


1238. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.

Berlin, 3 février[3].

Mon cher ami, je vous aurais répondu plus tôt si la situation fâcheuse où je me trouve me l’avait permis. Malgré le peu de temps que j’ai à moi, j’ai pourtant trouvé le moyen d’achever l’ouvrage sur Machiavel, dont vous avez le commencement. Je vous envoie par cet ordinaire la fin de mon

  1. Mme  Prudise ou Dorfise, principal personnage de la comédie désignée sous le titre de la Dévote, lettre 1233.
  2. Ambassadeur du roi de Sardaigne auprès de celui de France ; nommé dans la lettre 434.
  3. Cette lettre répond à celle du 28 décembre 1739 : la réponse de Voltaire à celle-ci est du 23 février 1740.