Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/444

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Il est fâcheux pour les philosophes qu’ils soient obligés de rendre raison de tout. Il faut qu’ils imaginent, lorsqu’ils manquent d’objets palpables. Avec tout cela, je suis obligé de vous dire que je suis très-satisfait de votre Traité de métaphysique. C’est le Pitt[1] ou le grand Sanci, qui, dans leur petit volume, renferment des trésors immenses. La solidité du raisonnement et la modération de vos jugements devraient servir d’exemple à tous les philosophes et à tous ceux qui se mêlent de discuter des vérités. Le désir de s’instruire parait leur objet naturel, et le plaisir de se chicaner en devient trop souvent la suite malheureuse.

Je voudrais bien me trouver dans la situation paisible et tranquille où vous me croyez. Je vous assure que la philosophie me paraît plus charmante et plus attrayante que le trône ; elle a l’avantage d’un plaisir solide ; elle l’emporte sur les illusions et les erreurs des hommes ; et ceux qui peuvent la suivre dans le pays de la vertu et de la vérité sont très-condamnables de l’abandonner pour celui des vices et des prestiges.

Sorti du palais de Circé,
Loin des cris de la multitude,
Je me croyais débarrassé
Des périls au sein de l’étude ;
Plus qu’alors je suis menacé
D’une triste vicissitude,
Et par le sort je suis forcé
D’abandonner ma solitude.

C’est ainsi que dans le monde les apparences sont fort trompeuses. Pour vous dire naturellement ce qui en est, je dois vous avertir que le langage des gazettes est plus menteur que jamais, et que l’amour de la vie et l’espérance sont inséparables de la nature humaine ; ce sont là les fondements de cette prétendue convalescence dont je souhaiterais beaucoup de voir la réalité. Mon cher Voltaire, la maladie du roi est une complication de maux dont les progrès nous ôtent tout espoir de guérison ; elle consiste dans une hydropisie et une étisie formelle dans tout le corps. Les symptômes les plus fâcheux de cette maladie sont des vomissements fréquents qui affaiblissent beaucoup le malade. Il se flatte, et croit se sauver par les efforts qu’il fait de se montrer en public. C’est là ce qui trompe ceux qui ne sont pas bien informés du véritable état des choses.

On n’a jamais ce qu’on désire ;
Le sort combat notre bonheur ;
L’ambitieux veut un empire,
L’amant veut posséder un cœur ;

  1. Le Pitt ou le Pître est un diamant que le duc d’Orléans, régent, acheta d’un Anglais en 1717 ; on l’a nommé, pour cette raison, le Régent. Il fut volé, dans le garde-meuble de la couronne, en semptembre 1792, avec le Sanci, dont on ne connaît pas le possesseur actuel. Napoléon portait le Régent à la garde de son épée, et ce diamant, plus précieux que le Sanci, appartient encore à la couronne de France.(Cl.)