digne d’être publié ; il faut mâcher et remâcher un ouvrage de cette nature, afin qu’il ne paraisse pas d’une manière incongrue aux yeux du public, toujours enclin à la satire. Je me prépare à partir, sous peu de jours, pour le pays de Clèves[1]. C’est là que
J’entendrai donc les sons de la lyre d’Orphée ;
Je verrai ces savantes mains
Qui, par des ouvrages divins,
Aux cieux des immortels placent votre trophée.
J’admirerai ces yeux si clairs et si perçants,
Que les secrets de la nature,
Cachés dans une nuit obscure,
N’ont pu se dérober à leurs regards puissants.
Je baiserai cent fois cette bouche éloquente
Dans le sérieux et le badin,
Dont la voix folâtre et touchante
Va du cothurne au brodequin,
Toujours enchanteresse et toujours plus charmante
Enfin je me fais une véritable joie de voir[2] l’homme du monde entier que j’aime et que j’estime le plus.
Pardonnez mes lapsus calami et mes autres fautes. Je ne suis pas encore dans une assiette tranquille ; il me faut expédier mon voyage, après quoi j’espère trouver du temps pour moi.
Adieu, charmant, divin Voltaire ; n’oubliez pas les pauvres mortels de Berlin, qui vont faire diligence pour, joindre dans peu les dieux de Cirey.
En revenant de la Haye, monsieur, j’ai trouvé vos lettres à Bruxelles. Je pourrai bien probablement vous donner des nouvelles de l’affaire dont vous m’avez chargé. Si elle ne réussit pas, cela ne sera pas ma faute. Vous me ferez grand plaisir, en attendant de me procurer par vos lettres une lecture plus agréable que celle de la plupart des livres nouveaux, sans en excepter l’Institution d’un prince[3], qui est un recueil de lieux communs dans les deux premiers volumes, et de fort plats sermons dans les deux derniers. La véritable institution d’un prince est l’exemple du roi de Prusse.
Je vous embrasse de tout mon cœur.