Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/50

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Ce n’est pas dans cette heureuse solitude qu’on est assez barbare pour mépriser aucun art ; c’est un étrange rétrécissement d’esprit que d’aimer une science pour haïr toutes les autres ; il faut laisser ce fanatisme à ceux qui croient qu’on ne peut plaire à Dieu que dans leur secte ; on peut donner des préférences, mais pourquoi des exclusions ? La nature nous a donné si peu de portes par où le plaisir et l’instruction peuvent entrer dans nos âmes ; faudra-t-il n’en ouvrir qu’une ? Vous êtes un bel exemple du contraire, car qui raisonne plus juste, et qui écrit avec plus de grâce que vous ? Vous trouvez encore du temps de reste pour passer du temple de la poésie et de la métaphysique à celui de Plutus, et je vous en fais mon compliment. Vous avez dit comme Horace :

Det vitam, det opes ; æquum mi animum ipse parabo.

(Lib. I, ep. xviii, v. 112.)

Je vois que vos nouvelles occupations ne vous ont point enlevé à la littérature ; qu’elles ne vous enlèvent donc point à vos amis ; écrivez un petit mot, et envoyez l’épître. Vous voyez sans doute souvent Mme du Deffant ; elle m’oublie, comme de raison, et moi, je me souviens toujours d’elle ; j’en ferai une ingrate, je lui serai toujours attaché. Quand vous souperez avec le philosophe baylien, M. des Alleurs l’aîné[1] et avec son frère le philosophe mondain, buvez à ma santé avec eux, je vous prie. Est-il vrai que votre épître est adressée à M. l’abbé de Rothelin ? Il le mérite ; il a la critique très-juste et très-fine ; je vous prierais de lui présenter mes très-humbles compliments, si je ne me regardais comme un peu trop profane. Adieu, mon cher ami, que j’aimerai toujours. Mme du Châtelet vous renouvelle les assurances de son estime et de son amitié, et joint ses prières aux miennes.


960. — À M. THIERIOT[2].

Voici encore, mon cher ami, un petit mot pour le prince royal sur une chose que vous aviez oubliée. Si vous trouvez que ce que je demande vous convienne et que la manière dont je le demande convienne aussi, envoyez la lettre ; sinon, brûlez-la.

  1. Roland Puchot des Alleurs ; voyez les lettres 143 et 967.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.