doux qu’il soit de vivre auprès d’un roi puissant qui daigne m’aimer, et qui cultive lui-même les arts auxquels j’ai consacré ma vie, je ne balance pas à donner la préférence à l’amitié. Je suivrai Mme du Châtelet à Cirey, au lieu d’aller voir le roi de Prusse. Je sais que je suis un peu persécuté dans ma patrie, mais l’amitié console des persécutions et tient lieu des rois. C’est à M. Gresset à remplir ma place à Berlin ; il l’occupera mieux que moi. Il est jeune, il a de la santé, et s’il n’est pas retenu par des engagements qui deviennent des devoirs, je ne doute pas qu’il ne prenne ce parti.
Je ne crois pas être à Paris avant le mois de décembre ; instruisez-moi donc en attendant de l’état de vos affaires.
Le sieur Michel m’emporte trente-deux mille cinq cents livres, soit en rentes, soit en argent comptant, mais je le crois plus à plaindre que moi. Il vivait splendidement du bien d’autrui, et il sera réduit à ne le dépenser qu’à la sourdine.
Je suis très-fâché qu’on ait imprimé ces Réflexions d’un seigneur polonais sur l’Histoire de Charles XII, et le seigneur polonais doit n’en être pas trop content ; mais si cette tracasserie ne retombe pas sur vous, je suis tout consolé. Je vous embrasse.
Vous devez, mon cher aplatisseur de ce globe, avoir reçu une invitation de vous rendre à Berlin. On compte que nous pourrons arriver ensemble ; mais, pour moi, je n’irai, je pense, qu’à Cirey. Je pourrai bien passer par Paris avec Mme du Châtelet ; j’espère au moins que je vous y verrai.
Si vous n’êtes pas assez philosophe pour préférer le séjour de l’amitié à la cour des rois, vous le serez peut-être assez pour ne pas vous déterminer sitôt à retourner en Prusse. Mandez-moi, je vous prie, quelles sont vos résolutions si vous en avez. Examinez-vous, et voyez ce que vous voulez. Ceci est une affaire de calcul. Il y a une sorte de gloire et du repos dans le refus ; il y a une autre gloire et des espérances dans le voyage. C’est un problème que vous pouvez trouver difficile à résoudre, et qui certainement est embarrassant. Je conçois très-bien que ceux qui sont assez heureux pour vivre avec vous décideront que vous devez rester ; mais le problème ne doit être résolu que par vous. Ne montrez point ma lettre, je vous prie n’en parlez point, et si vous faites