Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/105

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doux qu’il soit de vivre auprès d’un roi puissant qui daigne m’aimer, et qui cultive lui-même les arts auxquels j’ai consacré ma vie, je ne balance pas à donner la préférence à l’amitié. Je suivrai Mme  du Châtelet à Cirey, au lieu d’aller voir le roi de Prusse. Je sais que je suis un peu persécuté dans ma patrie, mais l’amitié console des persécutions et tient lieu des rois. C’est à M. Gresset à remplir ma place à Berlin ; il l’occupera mieux que moi. Il est jeune, il a de la santé, et s’il n’est pas retenu par des engagements qui deviennent des devoirs, je ne doute pas qu’il ne prenne ce parti.

Je ne crois pas être à Paris avant le mois de décembre ; instruisez-moi donc en attendant de l’état de vos affaires.

Le sieur Michel m’emporte trente-deux mille cinq cents livres, soit en rentes, soit en argent comptant, mais je le crois plus à plaindre que moi. Il vivait splendidement du bien d’autrui, et il sera réduit à ne le dépenser qu’à la sourdine.

Je suis très-fâché qu’on ait imprimé ces Réflexions d’un seigneur polonais sur l’Histoire de Charles XII, et le seigneur polonais doit n’en être pas trop content ; mais si cette tracasserie ne retombe pas sur vous, je suis tout consolé. Je vous embrasse.


1476. — À M. DE MAUPERTUIS.
À Bruxelles, le 6 octobre.

Vous devez, mon cher aplatisseur de ce globe, avoir reçu une invitation de vous rendre à Berlin. On compte que nous pourrons arriver ensemble ; mais, pour moi, je n’irai, je pense, qu’à Cirey. Je pourrai bien passer par Paris avec Mme  du Châtelet ; j’espère au moins que je vous y verrai.

Si vous n’êtes pas assez philosophe pour préférer le séjour de l’amitié à la cour des rois, vous le serez peut-être assez pour ne pas vous déterminer sitôt à retourner en Prusse. Mandez-moi, je vous prie, quelles sont vos résolutions si vous en avez. Examinez-vous, et voyez ce que vous voulez. Ceci est une affaire de calcul. Il y a une sorte de gloire et du repos dans le refus ; il y a une autre gloire et des espérances dans le voyage. C’est un problème que vous pouvez trouver difficile à résoudre, et qui certainement est embarrassant. Je conçois très-bien que ceux qui sont assez heureux pour vivre avec vous décideront que vous devez rester ; mais le problème ne doit être résolu que par vous. Ne montrez point ma lettre, je vous prie n’en parlez point, et si vous faites