Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/150

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vous auriez joué un bien pauvre personnage. Je n’imaginais pas que les plaisirs fussent exilés du temple de la Vertu, que vous habitez.

Quoi qu’il en soit, vous m’avez promis de me sacrifier quelques-uns de vos jours : ce qui me suffit. Plus je croirai que cette absence de la marquise vous coûte d’efforts, plus je vous en aurai de reconnaissance. Gardez-vous bien de me detromper.


J’entends déjà cent belles choses,
Toutes nouvellement écloses,
Et des bons mots sur tous sujets.
Juvénal lancera vos traits,
L’aimable Anacréon vous ceindra de ses roses,
Horace fera vos portraits,
Le bon, le simple La Fontaine
Fera tout naturellement
Quelque conte badin, sans gêne,
Que nous écouterons voluptueusement.
Ami, votre discernement
Mêlera ses préceptes graves,
Et mettra de justes entraves
À notre feu trop pétillant.
Pour soutenir notre enjouement
Et tout l’essor de la saillie,
Le vin d’Ai, nectar charmant,
Pourra vous servir d’ambroisie
Et dans cette bachique orgie
L’on saura fuir également
L’assoupissante léthargie
Et le fougueux emportement.

Adieu, cher Voltaire, soyez juste envers vos amis. Sacrifiez aux autels de Mme  du Châtelet ; mais dans le commerce des dieux n’oubliez pas les hommes qui vous estiment, et donnez-leur quelques-uns de vos moments.

Fédéric.
1521. — À M. DE MARVILLE[1],
lieutenant général de police.
Paris, le 14 août.

Monsieur, j’ai exécuté l’arrêt[2] que vous avez prononcé malgré vous contre moi, et tout se passera comme vous l’avez très-sagement prescrit. Celui qui a le manuscrit signé de votre main est à la campagne : il ne reviendra qu’à neuf heures, et, si je peux sortir, j’irai lui demander ce manuscrit moi-même ; sinon,

  1. Voyez la note 1, tome XXXIV, page 538.
  2. L’ordre de retirer du théâtre la tragédie du Fanatisme ou Mahomet ; voyez tome IV, page 99. Cette pièce avait eu trois représentations.