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drais que vous fussiez au seul endroit où vous n’êtes pas, pour vous réitérer combien je vous estime et je vous aime. Vale.

Fédéric.



1520. DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 7 août.

Mon cher Voltaire, vous me dites poétiquement de si belles choses que, si je m’en croyais, la tête me tournerait. Je vous prie, trêve de héros, d’héroïsme, et de tous ces grands mots qui ne sont plus propres, depuis la paix, qu’à remplir d’un galimatias pompeux quelques pages de romans, ou quelques hémistiches de vers tragiques.


Vos vers légers, mélodieux,
Par un élégant badinage
Amuseront et plairont mieux
Que par l’encens et par l’hommage,
Qui, vous soit dit, est un langage
Bon pour faire bâiller les dieux.

Ces traits brillants de votre imagination ne sont jamais plus charmants que sur le badinage. Il n’est pas donné à tout le monde de faire rire l’esprit ; il faut bien de l’enjouement naturel pour le communiquer aux autres. Ce n’est ni Dieu ni le diable[1], mais bien un misérable commis du bureau de la poste de Bruxelles, qui a ouvert et copié votre lettre ; il l’a envoyée à Paris et partout. Je crois que le vieux Nestor[2] n’est pas tout à fait blanc dans cette affaire.

Je vous prie, mon cher Voltaire, de restituer une syllabe au village de Chotusitz, que vous lui avez si inhumainement ravie ; et, puisqu’il vous faut des champs de bataille qui riment à quelque chose, j’ose vous faire remarquer que Chotusitz rime assez bien à Mollwitz. Me voilà quitte de la rime et de la raison.

Vous vous formalisez de ce que je vous crois de la passion pour la marquise du Chàlelet ; je pensais mériter des remerciements de votre part, de ce que je présumais si bien de vous. La marquise est belle, aimable ; vous êtes sensible, elle a un cœur ; vous avez des sentiments, elle n’est pas de marbre ; vous habitez ensemble depuis dix années. Voudriez-vous me faire croire que, pendant tout ce temps-là, vous n’avez parlé que de philosophie à la plus aimable femme de France ? Ne vous en déplaise, mon cher ami,

    page 266 de ses Mémoires, en parlant du roi de Prusse), quand il veut plaire ; et il le veut toujours, lorsque l’intérêt de son amour-propre s’y rencontre. Vous a-t-il seduit, il vous néglige, et finit par vous regarder comme son esclave. » — Voyez, dans la Correspondance, la lettre du 15 octobre 1752, à Mme Denis, et celles des six premiers mois de 1753, à d’Argental, à König, et au maréchal de Richelieu.

  1. Voyez le dernier alinéa de la lettre 1518.
  2. Le cardinal de Fleury.