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le Grand, et les fanatiques en ont fait supprimer à Paris les représentations, comme les dévots étouffèrent l’autre Tartuffe dans sa naissance. Cette tragédie est plus faite, je crois, pour des têtes anglaises que pour des cœurs français. On l’a trouvée trop hardie à Paris, parce qu’elle n’est que forte, et dangereuse, parce qu’il y a du vrai. J’ai voulu faire voir par cet ouvrage à quels horribles excès le fanatisme peut entraîner des âmes faibles conduites par un fourbe. Ma pièce représente, sous le nom de Mahomet, le prieur des jacobins mettant le poignard à la main de Jacques Clément, encouragé de plus par sa maîtresse au parricide. On reconnaît là l’auteur de la Henriade ; mais il faut que l’auteur de la Henriade soit persécuté car il aime la vérité et le genre humain. Il n’est permis aux poëtes d’être philosophes qu’à Londres.

Je fais mille compliments à M. de Nancy, dont j’ai aussi reçu une lettre. Adieu, monsieur comptez sur mon attachement et sur ma vive reconnaissance.


1530. — À MADAME DE SOLAR[1],
à paris.
À Bruxelles, le 2 septembre.

Ce fut, madame, le 23 du dernier mois, que les troupes enfermées dans Prague[2] firent la plus vigoureuse sortie. Ils comblèrent une partie de la tranchée ; ils renversèrent des batteries, ils enclouèrent du canon. Le combat dura une heure on se battit de part et d’autre en désespérés. On dit le prince de Deux-Ponts blessé à mort, le duc de Biron[3] prisonnier, un nombre à peu près égal de morts des deux côtés ; mais beaucoup plus d’officiers français que d’autrichiens, par la raison qu’il y a toujours plus d’officiers dans nos troupes que chez les étrangers, et qu’ainsi nous jouons des pistoles contre de la monnaie.

Après cette sanglante action, il y eut une heure d’armistice pendant laquelle on agit et on se parla comme si tout le monde

  1. Le commandeur de Solar, cité à la fin de la lettre 434, était mari de cette dame, et ambassadeur du roi de Sardaigne, à Paris, depuis plusieurs années.
  2. Les Français rentrèrent en vainqueurs dans la ville après avoir détruit les ouvrages des assiégés. Ce fut en décembre qu’eurent lieu la sortie et la retraite dont Voltaire parle à la fin du chapitre vii du Précis du Siècle de Louis XV : voyez tome XV.
  3. Louis-Antoine de Gontaut, né en 1701, maréchal de France en 1757.